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Après avoir passé en revue le mythique Sonic CD l’année dernière, Lamyfritz revient pour son grand dossier retrogaming estival. Cette fois-ci, il se penche sur un monument du jeu vidéo point and click des années 80, à savoir Zak Mac Kracken and the Aliens Mindbenders, remis en perspective pour l’occasion. Lorsque mythes, réalités et fake news s’interpénètrent…
Le mythe de l’Atlantide, et plus généralement d’une civilisation mère plus avancée qui aurait été à l’origine de toutes les civilisations, fascine l’homme depuis des siècles. Les légendes d’autrefois, reprises par la pensée New Age des années 70 inondent désormais le web sous forme de théories alternatives de type terre plate / terre creuse / intensité vibratoire / spiritualité quantique et j’en passe des meilleures.
Les théories du complot et notamment de complots extraterrestres sont inévitablement liés à ces fantasmes sur les anciennes civilisations. Autant cela ne choque pas tant que cela reste du domaine de l’art ou de la fiction. Autant le récent scandale de Cambridge Analytica nous a montré que les informations alternatives (pour ne pas dire « fausses ») et le complotisme ont désormais de plus en plus de poids dans notre société : des mystificateurs de mieux en mieux organisés détrônent peu à peu les journalistes de métier, le marasme du net contribuant, sous l’effet d’un amateurisme peu éclairé, à une nouvelle forme de relativisme culturel où faits et croyances s’interpénètrent.
Le jeu vidéo, qui imite de plus en plus le réel et brouille les frontières, a certainement un bel avenir politico-social devant lui. Mais le jeu vidéo plus ancien ne portait-il pas déjà en germe les prémices de tout ce foutoir que nous traversons aujourd’hui ? C’est ce que nous allons voir tout de suite.
A l’origine…
Revenons donc pour un moment à l’antiquité du jeu vidéo, avec ce titre en point and click de 1988, typique de ce qui se faisait à l’époque : Zak Mc Kracken and the Aliens Mindbenders. Ce jeu vidéo d’aventure classique est d’abord sorti sur Commodore et Amiga puis sur Atari ST, PC et console FM towns, avec des graphismes et une musique remis chaque fois au goût du jour. Notez que la FM Towns est une console japonaise ayant peu marché, et pour laquelle une version du jeu a même été faite avec des personnages aux yeux de type manga ! Mais bref. En apparence anodin, le jeu vidéo Zak Mc Kracken est entièrement traversé par la pensée New Age des années 70. Nous allons y revenir.
J’ai déjà évoqué ce jeu lors de l’octopodcast n°19 sur le thème des jeux point and click de chez Lucasarts, et j’y ai dédié ma première chronique sur ce site quand j’y ai débarqué à la fin de l’année 2014. C’est dire s’il est important à mes yeux, car, je l’admets, il a conditionné en partie ma façon de voir le monde. Revenons donc un instant sur le scénario et le gameplay de ce jeu.
Le titre en dit déjà long : Zak Mac Kracken and the Aliens Mindbenders met d’office en scène le héros du jeu, Zak Mac Kracken (qui porte incidemment le nom d’un animal mythique, sans qu’il y ait davantage de corrélation), aux prises avec des extraterrestres (aliens) affublés du terrifiant qualificatif de « mindbenders » lui-même composé de bend (tordre) et mind (l’esprit). Intéressant néologisme, que seule la langue anglo-saxonne peut se permettre aussi facilement. Le titre rappelle ainsi ceux de la presse tabloïd, racoleuse et complotiste : on nous manipule, et en plus ce sont des extraterrestres. Tout ceci n’est pas dû au hasard car Zak, le héros du jeu, est en effet journaliste pour un journal tabloïd de San Francisco, le National Inquisitor.
Un trait d’union entre Maniac Mansion et Monkey Island
Le jeu s’ouvre alors que Zak fait les cent pas dans le bureau de son patron, déclarant qu’il en a ras-le-bol d’écrire des articles bidons, qu’il a d’autres projets, dont celui de décrocher le prestigieux prix Pulitzer. C’est là que son patron lui confie une ultime mission : aller enquêter sur des témoignages d’apparitions d’ovnis au dessus de Seattle, ainsi que sur un mystérieux écureuil à deux têtes ayant attaqué des campeurs. L’aventure peut commencer ! Pas tout de suite, cependant. Une séquence d’intro sur fond musical raconte le rêve que fera Zak cette nuit là, rêve mystique qui m’emmènera sur Mars, dans lequel il rencontrera sa future copine, sera contacté par des anciens extraterrestres, et se verra poursuivi par des lunettes de nez volantes…!
L’aventure emmènera donc Zak à Seattle puis à travers le monde – en passant par la planète Mars – où il devra résoudre de nombreuses énigmes qui sont toutes parfaitement interconnectées afin de vous amener jusqu’au bout de l’histoire. Le jeu fonctionne comme un point and click à base de verbes tout à fait classique, avec un système de jeu similaire à ce que l’on trouvait dans Maniac Mansion en 1987 et que l’on retrouvera un peu plus tard dans le célèbre The Secret of Monkey Island en 1990, à la différence notable du fait que dans Zak Mac Kracken, l’univers de jeu est monobloc (vous allez et revenez dans le monde entier), alors que dans Monkey Island, il est découpé en plusieurs actes indépendants.

The Secret of Monkey Island
Comme dans les Monkey Island et la majeure partie des point and click (il me semble que seul Blade Runner du studio Westwood fasse exception), il n’y a qu’une seule route de jeu possible, c’est à dire un seul scénario pré-établi. Il n’y a pas de phases d’action à proprement parler, et ce même s’il faut parfois se bouger les fesses, et ce même s’il est possible de se retrouver bloqué en ayant effectué des actions irréversibles, mais qui demeurent rares, comme par exemple faire mourir des personnages. Zak Mac Kracken reste donc relativement peinard à jouer, avec un système de sauvegarde à tout moment – adapté à la vie du papagamer, en somme !
Encore un poil trop ancien, Zak n’a pas ce système de choix de dialogues, tel qu’il a été popularisé avec Monkey Island et tel qu’il existe encore aujourd’hui dans un The Witcher par exemple. Le jeu comporte quelques longueurs inutiles à cause de ces foutus labyrinthes (jungles et temples) et se termine en un peu plus de 2h si l’on connaît d’avance toutes les énigmes, ce qui est tout à fait honorable. Sans cela, il peut potentiellement vous prendre plusieurs semaines… ! Je pense que ça vaut le coup de s’y immerger, car il y a beaucoup à faire avant d’être complètement bloqué et d’avoir recours à une soluce.
Personnellement, je l’ai fini à la régulière sur Atari ST. Hé oui ! Comme quoi c’était loin d’être un jeu impossible : rien à voir avec les jeux hyper duuuurs du CPC 6128.
L’équipe de développement : entre loufoque et mystique

Thimbleweed Park, sorti en 2017 : un hommage au point n’ click à l’ancienne.
L’équipe de développement de Zak Mc Kracken comporte les éminents Ron Gilbert (à titre consultatif) et David Fox, qu’on retrouvera à nouveau ensemble sur Indiana Jones and the Last Crusade : the Graphic Adventure et également bien des années plus tard sur Thimbleweed Park, qui reprend toutes les ficelles du genre. Matthew Alan Kane a quant à lui co-designé le jeu avec David Fox. Bref, une sacrée équipe ! On peut donc s’attendre à un certain humour, même si dans le jeu qui nous intéresse aujourd’hui, il est moins perceptible que dans tous les autres, car on est davantage dans le second degré. C’est Ron Gilbert qui voulu a pousser le côté humoristique du jeu, un peu sur le tard, alors que le scénario général était déjà bien abouti.
Ainsi, Zak Mc Kracken casse parfois le 4e mur, notamment lors de ce poignant discours du gardien de prison sur les méfaits du piratage logiciel, prison où le jeu vous envoie illico au cas où vous vous tromperiez de code de protection à trois reprises. Ces derniers étaient intelligemment travestis en « code visas », qu’il fallait utiliser pour voyager d’un pays à l’autre, à l’exception notable des U.S.A., pays où démarre le jeu.
D’autres trucs plus ou moins marrants parsèment épisodiquement le jeu, et lui donnent une dimension plus loufoque. Le fait que le chef des extraterrestres se prenne pour Elvis, et que l’on puisse l’amadouer en lui offrant une guitare électrique, entre autres… On pouvait, grâce au pouvoir du cristal bleu, prendre le contrôle d’animaux, dont un yak, que l’on pouvait faire ruminer… et, au bout de la dixième rumination s’ouvrait l’option de laisser tomber un excrément !
On pouvait également assassiner sauvagement l’écureuil à deux têtes à coup de couteau à beurre et électrocuter le poisson rouge en le versant dans la lampe de chevet. La cruauté gratuite envers les animaux dans les jeux Lucasfilm avait été, de mémoire, un sujet de polémique, mais je n’ai hélas pas retrouvé les sources. Probablement des forums ou des blogs maintenant disparus. Enfin, les références à Maniac Mansion, le prédécesseur direct de Zak Mc Kracken (et qui a été un énorme succès) sont nombreuses. Ce site, très chouette, est une mine d’infos sur tous ces petits easter eggs, clins d’œil et trucs inutiles qu’on pouvait trouver.
Mais outre l’aspect loufoque introduit sur le tard par Ron Gilbert, le jeu a tout d’abord été conçu pour être beaucoup plus sérieux, avec des thématiques innovantes. A l’époque du développement, David Fox est allé demander conseil à David Spangler, auteur américain New Age, à l’époque connu pour son association au genre « channelling« , duquel il semble être revenu depuis. Fox et Spangler ont ainsi élaboré de concert un listing de tous les thèmes New Age les plus en vogue du moment, afin de mieux les tourner en dérision. Les supposés « visage de Mars » et pyramides martiennes prises en photo par la sonde Viking 1 en 1976 (et tombés en désuétude après leur debunking entre 1998 et 2000) deviennent ainsi un des thèmes fondateurs du jeu, apparaissant dès l’introduction.

A gauche, les pyramides, à droite, le visage de Mars. Et au milieu, un tramway…!
Mais ce sont bel et bien les supposées observations d’ovnis autour de Seattle qui constituent, comme on l’a vu, le point de départ, le prétexte qui lance le scénario du jeu. Nous le savons aujourd’hui : ce premier témoignage, qui date en fait de 1947, a purement et simplement lancé le phénomène « soucoupes volantes », ce phénomène ayant considérablement influé la culture occidentale par la suite.
Zététique et ovnis : une histoire raisonnée
Zak Mac Kracken déguise habilement des sujets New Age – comme le phénomène ovni – qui font encore polémique à l’heure actuelle, regorgeant d’affabulateurs sur la toile, sans compter toute l’importance de la culture populaire qui gravite autour du phénomène. Aussi, il est plus que temps d’aborder ce dernier sous l’angle de la zététique, un mot ancien qui veut dire « l’art du doute ». Attention car ce terme a été également repris par des mystificateurs New Age, pour présenter des théories tout à fait litigieuses, comme celle sur les taux vibratoires, par exemple.
Un vidéaste à succès, membre de l’observatoire zététique de Grenoble (un observatoire spécialisé dans le debunking et l’étude scientifique des phénomènes paranormaux), a réalisé cette vidéo explicitant habilement ce qu’il appelle « modèle socio-psychologique », qui a nourri des décennies de fake news mais également des films et de séries à succès comme les X-Files, que l’on ne présente plus :
L’affaire des soucoupes volantes y est très bien argumentée et sourcée. Je vous conseille au passage de regarder l’intégralité de sa chaîne (Hygiène Mentale), qui apprend à se prémunir contre les discours fallacieux et le complotisme rampant.
De ce point de vue Zak Mac Kracken n’est pas en reste. Le complot ourdi par les extraterrestres vise – tenez vous bien ! – à rendre la population humaine stupide et docile par le biais des réseaux de télécommunications. L’action du jeu se déroule en 1997 (soit 10 ans dans le futur si l’on s’en tient à la date de parution du jeu) ce qui correspond peu ou prou au développement des téléphones portables et de l’internet domestique. Bon, certes, il n’y a pas de portables dans le jeu, ni d’internet, mais il y a quelque chose de prophétique, au vu ce que nous sommes en train de vivre. Les grandes puissances financières en sont les acteurs directs, même si nous n’en sommes pas tant les victimes que les complices (sujet à débattre).
Dans Zak Mc Kracken, une énorme machine est branchée au réseau et balance une fréquence permanente à 60 Hz censée rendre peu à peu l’humanité stupide. D’ailleurs, si Zak se fait capturer, il se fait enfermer dans une cellule a proximité de la machine et perd peu à peu ses facultés (les verbes « ouvrir », « aller », « prendre »… disparaissent peu à peu). Tout ça ne manque pas d’humour, j’en veux pour preuve l’impossibilité d’arrêter la machine car le levier de contrôle affiche deux positions : ON ou bien ON…! Le changer de position alertera les extra-terrestres et vous renverra rapidement en cellule. Mais bref, je trouve que ce non-choix est aussi révélateur du monde dans lequel on vit, qui se résume parfois à : « pile je gagne, et face tu perds ». L’épidémie mondiale de stupidité est en route, et quoi de plus normal !
L’archéologie alternative comme littérature post-moderne
Maintenant, ne faisons pas un si mauvais procès aux thématiques New Age de ce jeu. Tant que l’on reste dans la fiction (ou dans l’effet placebo) celles-ci sont tout à fait digne d’être appréciées. Et force et de constater que dans Zak Mc Kracken, elles recoupent une part de réalité, mais pas forcément comme on pourrait le croire de prime abord.
En effet, dans Zak Mc Kracken, le New Age implique une multitude de sites de pouvoir qui correspondent à sites archéologiques existants sur terre. Il s’agit de sites mégalithiques comme Stonehenge, ou de grands monuments antiques tels que les pyramides égyptiennes et mexicaines, mais aussi d’édifices plus récents comme le Golden Gate Bridge. Zak Mc Kracken suggère ainsi l’existence d’un lien tangible entre tous ces sites. Ces connexions remontent jusqu’au mythe de l’Atlantide et des civilisations antédiluviennes : on verra d’ailleurs l’Atlantide représentée par des ruines sous-marines, situées au niveau du triangle des Bermudes (il fallait y penser) ! Ceci dit, le côté extra-terrestre est tellement tourné en dérision qu’il n’est pas crédible en tant que dénominateur commun entre tous ces sites, qui évoque la théorie des anciens astronautes. Mais demeurent la réalité et le mystère de ces sites dont l’étrange pouvoir de fascination est intelligemment mis en scène dans le jeu. Lorsque j’étais gosse, je rêvais d’aller voir tous ces sites en vrai, et c’est ça la force de Zak Mc Kracken : de donner l’envie d’aller à la découverte du monde et de la vérité soi-même.
Le jeu invite en outre à découvrir d’autres formes de spiritualité auxquelles, étant enfant, je n’aurais guère eu accès, si ce n’est dans des bandes dessinées comme Les Aventures de Tintin ou Spirou et Fantasio. Cette spiritualité se décline à travers des personnages hauts en couleurs et évidemment caricaturaux, tels le Shamane ou le Gourou. Aujourd’hui on se demande ce que ces mots veulent bien encore dire, en tous cas en occident, où les dérives sectaires demeurent préoccupantes. Le message positif – et naïvement idéaliste – du jeu est que les grandes spiritualités de ce monde sont toutes interconnectées dans un but supérieur. Les religions monothéistes sont savoureusement évacuées et Zak est présenté comme un homme libre, prêt à toutes les expériences nouvelles, et dont la vie va totalement changer par un voyage initiatique.

Exemple typique d’une paréidolie – avec hélicoptères, astronefs… – ce n’est pas un fake mais ça nous parle, et on ne peut pas s’empêcher de les voir.
Il ne fait aucun doute que Zak Mac Kracken est une œuvre de fiction, s’appuyant sur certaines réalités de notre monde et sur les fantasmes qui entourent ces réalités. La question est de savoir si Zak Mac Kracken, en tant qu’œuvre de l’esprit, doit être pris comme le simple reflet de son époque et de ses auteurs (comme peut l’être n’importe quel objet culturel, peu importe ce qu’il raconte) ou bien comme un véritable signifiant esthétique et conceptuel (qui n’a de valeur que parce qu’il communique quelque chose dans le contexte limité du jeu, peu importe ce qu’il reflète de notre monde réel). C’est l’éternel débat entre l’œuvre et son auteur, qui forment deux pôles aussi indissociables qu’inatteignables. La plupart des vidéos en ligne d’aujourd’hui ont ainsi une valeur ne serait-ce qu’artistique, étant avant tout un indicateur de liberté d’expression, mais elles ne reflètent guère la réalité du monde, en instaurant parfois volontairement une confusion entre corrélation et causalité.
Zak Mac Kracken reflète à mon sens des mécanismes propres à la pensée humaine et à la mise en réseau de différents imaginaires pour former un tout en apparence cohérent. C’est donc une forme précoce de littérature en réseau, qui se dévoie aujourd’hui à travers la prolifération de théories en tous genres sur Youtube, qui a fait de l’identité individuelle le bien suprême. La littérature n’est pas la vérité : autant ces théories ne font pas trop de mal tant qu’elles concernent des œuvres de fiction (deviner comment va finir A Game of Thrones par exemple), autant elles ne peuvent pas se permettre d’expliquer la réalité de notre monde au nom du seul narcissisme.
Ainsi, c’est avec le recul des années, et justement parce que c’est un jeu vidéo, et de plus est un jeu vidéo rétro (donc pas du tout photoréaliste, impossible à confondre avec le réel), que Zak Mac Kracken m’apparaît comme une sorte d’anti pièce à conviction du complotisme de caniveau, exploitant les codes du New Age pour mieux s’en jouer, tout en rendant un vibrant hommage aux grands accomplissements des civilisations antiques et à l’inaliénable unité de l’imaginaire humain. Ce jeu invite au rêve et appuie sur des boutons obscurs de notre esprit mais, de par son humour, déjoue l’instrumentalisation de ce que les zététiciens modernes appellent le « biais de confirmation » – cette tendance à ne prendre ses informations qu’auprès des personnes qui pensent ou croient la même chose que nous. Voir la conférence TED de Eli Parsier (9 minutes) à ce sujet.
Tout le monde ou presque peut se retrouver dans Zak Mac Kracken, qui évoque la possibilité d’une culture universelle, qui n’est peut-être qu’un fantasme, mais qui résulte d’une ouverture à la multiplicité des cultures du monde entier. Le lien, peut-être le seul, qui existe entre tous les phénomènes et sites merveilleux, c’est bel et bien le sujet, l’humain qui les découvre et les contemple. Aujourd’hui, l’instrumentalisation du biais de confirmation est devenu une réalité à grande échelle, mais qui invite davantage au repli identitaire, notamment à travers l’effet des bulles de filtre du net régies par les intelligences artificielles. Le phénomène a d’ailleurs pris une tournure politique depuis peu. Il faudra s’en méfier.
Lever à nouveau les yeux vers les étoiles… tout en gardant les pieds sur terre
Revenons un instant sur les débats entre œuvre et auteur, qui reviennent régulièrement sur le devant de la scène à cause de grandes personnalités controversées, comme par exemple Woody Allen et Roman Polanski pour le cinéma, ou Bertrand Cantat pour la chanson française. La question est de savoir si l’on peut s’abstraire d’un auteur jugé immoral et ne se focaliser que sur l’aspect artistique de son œuvre.
C’est la question que je me suis posée pour Graham Hancock, dont j’ai lu le très controversé mais superbe Magicians of the Gods. Graham Hanckock, c’est un peu Zak Mac Kracken en bouquin, mais encore plus prenant et encore plus vraisemblable, d’autant qu’il rejette et démonte toutes les hypothèses extraterrestres, histoire de faire plus vrai. Son concept d’archéologie alternative et sa relecture des mythes résonne malheureusement avec le complotisme généralisé, même si Hancock est beaucoup plus prudent et mesuré.
D’ailleurs, une grande partie du livre met en scène l’auteur lui-même, voyageant de par le monde pour confirmer ses théories, et s’apitoyant sur le manque d’ouverture de la communauté scientifique. L’égyptologie y apparaît comme un consortium de vieux sages poussiéreux essentiellement préoccupés à garder leur place. Ce faisant, cependant, il dévoile l’existence d’un système qui ne peut qu’évoluer très lentement, basée sur l’argumentation et les détracteurs, et qui demande un travail collectif considérable, à savoir : la science.
Hancock est avant tout un romancier, pas un scientifique. Dans les X-files, ce serait l’agent Mulder, autour duquel gravite toute la série, et qui jongle entre mythes et réalités. Certes, sa théorie d’une civilisation mère antédiluvienne – qui aurait inspiré le mythe de l’Atlantide de Platon et qui aurait été basée au niveau de l’actuelle Indonésie – est séduisante et s’appuie sur un faisceau d’observations mêlées à des intuitions, ainsi qu’à quelques études fort intéressantes quand à l’impact d’une comète il y aurait environ 12000 ans. Certes, la récente découverte du site de Gobekli Tepe en Anatolie n’est pas des moindres et remet en cause la plupart des canons archéologiques actuels. Mais certains arguments, notamment autour des constellations du zodiaque, m’ont complètement refroidi en dépit de leur logique prétendument imparable. Enfin, d’autres arguments sentent un peu le réchauffé, et on les retrouve dans la plupart des reportages racoleurs consacrés au sujet :
Tout ceci étant dit, que l’esprit critique ne nous empêche pas d’avoir d’intimes convictions. A mon sens, et dans le doute, il faut prendre l’œuvre de Graham Hancock pour ce qu’elle est : une œuvre avant-tout littéraire. Il rappelle en cela l’auteur Jean Markale ou le célèbre Carlos Castaneda, dont on a jamais pu vérifier les travaux prétendument anthropologiques, mais dont l’impact littéraire est indéniable. Concernant le travail d’Hancock, il est à parier que ce dernier suscitera des vocations véritabement scientifiques, comme cela fut le cas avec les romans de Jules Verne autrefois, mais aussi plus récemment avec un Indiana Jones ou les Mystérieuses Cités d’Or, qui ont fait rêver tout un tas de gosses de ma génération. Littérature et science s’interpénètrent en permanence, ne l’oublions pas.
Comme avec Zak Mac Kracken, Graham Hancock réussit l’exploit de nous faire nous retourner sur tous ces monuments mystérieux à travers le monde, et évoque ce même lien puissant entre tous ces sites très anciens. Encore plus fort, il nous invite à lever les yeux vers le ciel, et, réfutant les théories extraterrestres, permet de garder dans le même temps les pieds sur terre.
Je vous conseille de tester l’application (gratuite) Night Sky pour tablettes et smartphones, qui est sans doute la meilleure application ayant jamais été réalisée à ce jour. Avec l’été qui arrive, c’est la meilleure période de l’année pour s’en servir. Mais il est certainement une condition nécessaire pour l’utiliser a bon escient : le faire juste après le coucher du soleil, lorsque vous n’avez que quelques étoiles et les planètes les plus brillantes qui apparaissent dans le ciel. C’est dans ces moments là que l’on se prend à rêver, que l’on se dit que Hancock a peut-être raison tout compte fait.
Un autre logiciel intéressant, pour PC, vous permet d’effectuer une visite virtuelle de l’intérieur de la grande pyramide en 3D. Vous pouvez télécharger et installer un petit logiciel sur ce site, qui présente d’ailleurs une théorie fort intéressante – et en français – sur la Grande Pyramide de Khéops. On attend avec impatience la suite du programme Scan Pyramids, qui semble un peu au point mort depuis l’an dernier.
Enfin, pour garder une bonne Hygiène Mentale, et toujours dans le respect des croyances de chacun, je vous conseille de regarder cette vidéo, dont la toute dernière partie et la suite (voir l’épisode 4) traite justement de l’archéologie alternative et de ses mystificateurs.
Bien d’autres vidéos anti-complotistes de ce type circulent sur la toile. Mention spéciale pour Defakator, qui s’attaque en ce moment aux théories de la terre plate : une belle leçon d’humour, d’humilité et de posture face à l’adversité.
Mais revenons une dernière fois en 1988.
Outre son petit côté prophétique sur la stupidité du monde engendrée par les réseaux de communication, Zak Mac Kracken était certes un jeu vidéo certes bourré d’illusions mais aussi de belles promesses quant à ce qui existe pour de vrai et de mystérieux dans notre beau et vaste monde. Ce jeu m’a durablement donné envie de me déplacer, de visiter la terre, d’apprendre des langues étrangères, d’aller voir et sentir les choses par moi-même. En cela je lui suis redevable. Même si je ne peux pas dire « je n’ai pas cru à tout ça une seule seconde ! », je ne suis pas devenu un adepte du complotisme extraterrestre pour autant. Arrivé à l’âge adulte, je n’ai plus besoin d’excuse magique pour tout ce que je vois ou pressens. Le jeu m’a servi, en quelque sorte, de tout premier vaccin au délire généralisé du monde d’aujourd’hui. Reste à faire les piqûres de rappel, désormais.