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Allez, c’est reparti pour le test-réac’ du papagamer. Mon plus grand (17 ans) joue à Fortnite, ce survival game en ligne qui fait beaucoup parler de lui depuis ces derniers mois. Enfin devrais-je dire « jouait » car de son propre aveu ça fait 2 mois qu’il n’y a plus touché. En ce qui me concerne, ça fait 2 heures. Et je ne pense pas y retoucher un jour. Compte rendu à chaud.
Après avoir une fois de plus lâché Starcraft 2, j’hésitais entre repartir sur du retrogaming (j’ai pas mal de petites perles en stock) ou tenter un jeu plus récent, histoire de coller à l’actu et d’égayer le site. Contrairement à mes comparses Octopaddaone, Hyujo et Procope, je joue essentiellement sur Pécé. Et que se passe-t-il sur Pécé en ce moment ? Il se passe le phénomène Fortnite, dont tout le monde parle, y compris les psychologues, qui sont passés de l’autre côté du miroir, pour une fois. Malins, les psys : après avoir fustigé les jeux vidéo pendant deux décennies, ils proposent désormais leurs services aux éditeurs pour les rendre encore plus addictifs ! Vraiment si c’est pas une profession diabolique, ça !
du TPS en ligne on ne peut plus basique de type Counterstrike starring Lara Croft, avec zéro narration, ou presque
Mais bref, autant le dire tout de suite : la réputation de ce jeu est largement surfaite. Certes, c’est gratuit, il y a des millions de joueurs, et plein de fric à la clé pour les entreprises, ça va certainement créer de l’emploi et du bizness à gogo, et injecter des devises dans l’économie réelle. Mais bon, retour à la réalité du jeu en lui-même : c’est du TPS (pour third person shooter : jeu de tir à la troisième personne) en ligne on ne peut plus basique, de type Counterstrike starring Lara Croft, avec zéro narration, ou presque. Il y a bien cette petite innovation à-la-Minecraft qui consiste à récolter des ressources et à construire des structures de type murs, pièges ou escaliers en plein milieu de la partie, façon « pouvoir de jedi » ou sortilège dans Harry Potter. J’ai posé 40m² parquet le mois dernier, je peux vous dire que c’était une autre paire de manches. D’ailleurs, qu’est-ce que cet aspect-là du gameplay a pu m’énerver ! Au final, il semblerait que ce soit précisément ce savoir-faire qui fasse toute la différence, notamment en fin de partie. Or, en ce qui me concerne, j’en suis bien loin d’y arriver, en fin de partie.

Une des « constructions » possibles dans Fortnite – seule véritable innovation du titre.
J’ai joué des dizaines de fois, pendant deux heures d’affilée, sans jamais réussir à tuer le moindre adversaire. Ainsi, hormis les très belles phases de chute dans le vide au dessus de l’île en tout début de jeu, je n’ai pratiquement trouvé aucun plaisir à jouer à Fortnite. Mes parties se sont résumées à de longues minutes d’errance et de course à travers des étendues vides, pour ramasser des armes aussi inefficaces les unes que les autres, et finalement me faire descendre en un quart de seconde dès la première confrontation. Alternativement, en atterrissant directement en zone urbaine, je me faisais canarder et je mourais à peine avoir posé mon parachute.

Un des seuls moments vraiment sympas du jeu
il faut être bon, et même très bon : le qualitatif reste à la charge du joueur
En quittant le ladder de Starcraft 2, dans lequel j’avais enfin réussi à me classer en ligue diamond le mois dernier, je quittais un système de jeu qui m’était devenu à la limite du supportable : celui dans lequel on progresse très lentement, à force de persévérance, face à des joueurs de plus en plus expérimentés. A ce niveau, regarder des vidéos, des tutoriels, des chaînes de joueurs professionnels, prendre des notes, expérimenter des stratégies contre l’I.A., devient indispensable. Celà implique non seulement un temps de jeu conséquent mais aussi un temps hors-jeu presque tout aussi conséquent. Et ça, le papagamer peut difficilement se le permettre. Jongler entre vidéos Youtube et parties enchaînées sans aucune variété, non merci. Je joue au jeu vidéo pour me détendre, pas pour faire du simili-sport, ni pour me prendre au sérieux.
A la grande différence de Starcraft 2, le gros problème de Fortnite est qu’il place sans complexe les joueurs débutants face à des joueurs parfaitement aguerris. Il y a bien un vague système de points d’expérience et de bidules à débloquer, mais celui-ci ne semble absolument pas être pris en compte lors du lancement des parties. Ca se comprend : à chaque minute, le jeu balance 100 joueurs de tous les pays au milieu d’une map, qui va se rétrécir au fil du temps, forçant les joueurs à se rapprocher progressivement les uns des autres pour se foutre finalement en l’air, dans un final toujours très explosif, avec les armes les plus puissantes entre les mains des joueurs les plus adroits. Avec Fortnite, on n’est pas là pour chipoter : c’est du quantitatif pur et tant pis pour les outsiders. Le but d’une partie étant de rester le dernier survivant, il faut être bon, et même très bon : le qualitatif reste à la charge du joueur.
A mes yeux de papagamer, rattraper l’élite des joueurs de Fortnite semble un objectif tellement lointain qu’il n’est pas motivant. Je n’ai absolument pas ressenti l’envie de consentir à l’effort qui consiste à jouer et rejouer pour progresser lentement. Le plaisir de jeu pendant la première partie a été tellement faible, la satisfaction tellement nulle, que je ne vois pas ce qui peut rendre accro à ce jeu – parce que, soyons honnêtes : pour progresser à Fortnite, vu le niveau que se payent les gars d’en face, il faut y être accro, je ne vois pas d’autre solution.
l’apologie du jeu actuellement faite par les journaleux et par la jeunesse hype ne fait pas tout
J’imagine que les premières victoires doivent être d’autant plus grisantes qu’elles sont difficiles à atteindre. Mais pour le reste, l’apologie du jeu actuellement faite par les journaleux et par la jeunesse hype (stars du rap ou du football, qui s’en servent d’ailleurs comme outil auto-promotionnel) ne fait pas tout et ne suffira pas à me faire persévérer. Chez moi, papagamer trentenaire, il n’y a aucun processus d’identification susceptible d’engendrer une motivation suffisante pour continuer à fréquenter la communauté des joueurs de Fortnite.

« Vous vouler nou reçemblé ? » voici des « celebs » qui jouent à Fortnite – je sais même pas qui c’est…
[EDIT : en tant que représentant de la génération X, j’ai une fois de plus sous-estimé l’importance des réseaux sociaux. C’est là que réside l’accroche qui va amadouer le joueur. En début de partie, on peut en effet très facilement convoquer une team via les réseaux sociaux existants, tout celà afin de jouer entre potes, ce qui booste inévitablement l’intérêt du jeu, par rapport à une partie en mode loup solitaire. Fortnite devient alors un party game comme un autre, où le plaisir d’être avec les autres dans l’instant est plus important que la victoire ou le fait de progresser. Du reste, l’aspect sandbox du jeu s’adresse précisément à cette génération biberonnée à Minecraft, dont l’engouement m’a toujours paru inexplicable.]
Pour parler brièvement d’addictologie (car le sujet interpelle toujours les media mainstream), j’ai autrefois entendu dire que chez certains jeunes, et plus souvent qu’on ne l’imagine – sous réserves : statistiques à vérifier – la première cigarette, le premier joint ou le premier rail de coke ne fait aucun effet. Et du coup, c’est en recommençant, par identification sociale (les autres membres du groupe mettent la pression en soutenant que c’est bien) et par besoin de reconnaissance, que l’on devient accro – et peut-être même davantage que pour ceux qui y ont trouvé du plaisir dès la toute première expérience. Nous sommes tous inégaux face à l’addiction, ne l’oublions pas : il est impossible de généraliser le phénomène. En ce qui me concerne, vis-à-vis de Fortnite, je suis dans la position du mec qui a essayé une drogue dure (ou du moins que je pressens comme telle) sans en avoir ressenti le moindre effet. C’est donc, à mon avis, le bon moment pour désinstaller le jeu.
Et puis… décidément, Fortnite reste un jeu pour ados : le design ne trompe personne, et le gameplay appuie sur tout un tas de « boutons darwiniens » et autres « super-stimuli » desquels un vieux singe comme moi n’est plus vraiment dupe. Même si ce n’est pas vrai, j’aime penser que jouer aux jeux de type FPS ou TPS est lié à une classe d’âge : j’adorais ça quand j’avais entre 15 et 20 ans, et depuis, j’en suis complètement revenu. C’est un peu comme la balançoire ou le MacDo : maintenant, j’ai beau insister, ça me donne le mal de mer. Et puis il faut passer un peu la main, merde, on finit par avoir l’air cons à force de vouloir faire jeune. Ô, Duke Nukem 3D, que tu me sembles loin !

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