Temps de lecture : 8 minutes
Suite aux articles très bien faits des amis Procope et Octopaddaone (ici et là) sur la façon quasi militaire dont ils régentent désormais leur vie de parentgamer, et avec des budgets réglés comme du papier à musique, j’ai trouvé que le site étirait un peu trop ses tentacules en direction du lectorat élitiste des business angels et autres golden boys fondateurs de startup et peut-être pire, des sympathisants de la République en Marche.
Blague à part, ça fait dix jours que je ne pouvais plus laisser de commentaire sur le site, voulant apporter un témoignage différent de ceux des amis Octo et Procope, dans lesquels je ne me reconnais pas beaucoup, mais que j’ai trouvés sincères et parfois touchants. Plutôt que de laisser un long commentaire chiant sous leur chronique, cet article (sans doute aussi chiant que le commentaire – mais au moins avec images) constituera un contrepoint, dans laquelle d’autres parentsgamers se retrouveront peut-être mieux.
Croquer le vie ou les pixels : un choix inconciliable ?
Avec un budget maximal de 40 euros par an consacrés au jeu vidéo, je suis très loin des budgets de mes comparses, d’autant qu’ils omettent d’inclure les coûts de leurs consoles et ordinateurs, qui sont très chers. Qui dit software dit hardware : quand on collectionne les voitures, on ne parle pas que du prix de l’essence, des assurances et des péages tout de même. Pour moi, acheter une console ou un ordinateur ne se fait pas à la légère, et d’ailleurs acheter un jeu non-plus. Il faut vraiment que je sois sûr ou que j’aie un vrai coup de cœur.
Comprenez-moi bien : j’ai été à découvert tous les mois pendant quatre longues années, sans jamais prendre de vacances, à plein temps et bourré d’heures sup’ (madame pareil, ok ?) avec trois enfants à charge, pas une goutte d’aide sociale, nous avons même été fichés quelques mois à la banque de France, j’ai dû vendre ma maison à perte juste parce que la vie est chère : bouffe, garderie et cantine, transports, avocats (parce qu’il nous a fallu nous défendre contre un coup dur), et soins hospitaliers pour mon fils (non non tout n’est pas gratuit). Rien d’autre à la vérité ! Mais comme le dit Philippe Katerine, « la vérité est toujours démodée ».
Je sais que je suis loin d’être le seul parmi les salariés de base – sachez juste que je suis beaucoup plus heureux aujourd’hui qu’il y a dix ans, même simple locataire, même devenu à 200% dépendant de mon métier et ayant abdiqué la majeure partie de mes activités et passions d’antan. Je me suis simplement habitué à vivre chichement, à agir de façon plus utile, à partager davantage, sans acheter tout un tas de trucs. J’ai même depuis rencontré des gens qui arrivent encore mieux que moi à avoir une conception de l’abondance qui ne passe pas du tout par le matériel. Procope évoque le terme de « décroissance » : sans aller jusque là, je me permets simplement de questionner le rapport de ma génération au jeu vidéo.
Peut-on être un vrai gamer sans consommer comme un dingue ?
Vous vous dites certainement : « non mais oh, il fait chier celui-là, à whiner comme un Terran à Starcraft 2 : s’il s’est enlisé dans le sable, c’est que c’est pas un vrai joueur d’abord, il faut se donner les moyens de ses ambitions, d’ailleurs qu’est-ce qu’il fait encore là ? »
Ne vous y méprenez pas, je ne suis pas un repenti devenu intégriste ! J’ai gardé intacte ma passion du jeu vidéo d’autrefois, mais je m’en suis éloigné par la force des choses, et par le fait que le jeu vidéo a changé et me correspond moins. Comme le dit Hujyo, qui refuse le bullshit, on est devenus plus exigeants. Et puis j’ai écopé d’autres passions tout aussi prenantes : je suis sidéré par le budget « jeux vidéo » d’Octo et Procope mais pense que vous trouveriez tout aussi excessif ce je mets parfois dans certaines bouteilles de vin. Alors à chacun sa passion ? Attention : le grand vin, je l’achète avec en tête l’idée du partage, avec les amis, avec la famille, et certaines bouteilles dormiront encore plusieurs années pour les 18 ans de mes enfants. C’est leur héritage. C’est tradi. Et je sais que sur ce site on veut faire du jeu vidéo quelque chose de similaire. Dans le vin aussi existent aussi de grands collectionneurs, qui claquent des fortunes pour des vins qui font rêver… ! Mais le jeu vidéo (à l’exception de certaines bornes d’arcade et de la Neo Geo) reste quand même un produit grand public et qui verse volontiers dans la quantitatif (et son corollaire le troll) car à lui tout seul il ne constitue pas un signe extérieur de richesse. Il appelle donc à l’accumulation, c’est une des conditions de sa survie.
Nous avons tous ici été gamers étant enfants et le plus souvent, on s’achète des jeux uniquement pour nous-mêmes, avec en arrière pensée une représentation mentale idéalisée de ce que pourrait être le jeu vidéo en famille. Peut-être qu’on se ment un peu à nous-mêmes avec cette histoire de patrimoine vidéoludique, même si j’ai parfois envie d’y croire – cette tendance merdique à la dématérialisation met de toutes façons cette dynamique de transmission en danger. J’en reparlerai dans un prochain article. Mais heureusement que nous avons ce site pour échanger, sortir un peu de notre bulle, créer quelque chose à partir de notre passion, parce que sinon nous ne serions que des consommateurs stériles.
Allons. Le seul jeu qui m’intéressait cette année, à savoir : Zelda Breath of the Wild, me coûterait la bagatelle de 350 euros. Ca fait donc 350 euros pour un seul jeu, parce qu’il faut se payer la console d’abord – console que je qualifierais d’inutile, vue la ludothèque restreinte (et qui, hors jeux dématérialisés, va le rester quelques temps), mais aussi vu le peu de temps que j’y passe chaque semaine (30 minutes à une heure de jeu en moyenne) et vu, surtout, le risque que mes gamins se l’accaparent et que je doive me battre sans arrêt avec eux ! Il y a bientôt dix ans, j’ai déjà dû supprimer purement et simplement une Nintendo DS de la maison, qui avait transformé le comportement du plus grand (8 ans à l’époque) de façon extrêmement inquiétante. Mes comparses donnent parfois l’air d’oublier leur rôle de parentsgamers mais c’est qu’ils ont des enfants encore tout petits, ou bien ce sont des filles, forcément moins attirées par le jeu vidéo et c’est normal – n’en déplaise aux tenants absurdes de la théorie du genre !
Jouer avec, sans ou contre ses enfants ?
Aujourd’hui, c’est devenu pratiquement impensable pour moi de jouer sans avoir mes enfants avec moi, par exemple, enfermé seul dans un bureau. Ce n’est pas seulement une question matérielle, de manque de place ou autre. C’est aussi une question de choix : je n’ai pas envie de leur montrer ce type de comportement et de transformer le fait de jouer en hygiène de vie solitaire, bien loin de l’image que je me fais d’un père. Attention, on touche là à une de mes contradictions. Je ne dis pas que jouer seul la nuit dans mon bureau ne m’arrive jamais : on a tous besoin d’un moment d’intimité sans être dérangé, adultes comme enfants… mais je consacre rarement ces instants d’intimité au jeu vidéo car je ramène aussi du boulot chez moi, je bosse presque toutes les nuits, dès fois je fais un cinoche ou un DVD avec madame, je tape un article qui me tient à cœur sur le site, ou bien je dors tout simplement !
Donc quand je joue, c’est que mes enfants sont là, et j’ai même tendance à les attendre pour jouer : ils ont le droit de regarder ou même de participer. Et quand ils ont déjà joué aux jeux débiles sur le portable de madame ou regardé des dessins animés, je m’abstiens sans aucun remords de jouer pour leur éviter une saturation d’images ou le supplice de Tantale. Vous imaginez bien qu’avec cette philosophie je me suis privé de nombreux titres inadaptés au regard des enfants. Certains de mes jeux Wii comme les House of the Dead ou Resident Evil dorment ainsi depuis plus de 7 ans. Comme mes bouteilles de vin à la cave, ils attendent que le temps soit venu. Patience. Et au pire, tant pis.
Après des années où l’on a manqué de tout, je ne peux pas imaginer dépenser des sommes importantes pour de jeux dont mes enfants ne pourraient pas profiter, et que je ne pourrais pas partager directement avec eux. Ce serait un double sacrifice : d’une part c’est une grosse dépense qui en exclut d’autres, et d’autre part c’est les exclure en faisant des efforts pénibles pour leur barrer quotidiennement l’accès à un truc très tentant – qui a d’ailleurs été idéalement désigné pour leur donner envie de jouer, et à terme les fidéliser. J’ai donc opté, cette année, plutôt qu’une Switch avec le dernier Zelda, pour des vacances de Noël en famille au grand air, et une bouteille de Nenin 2008, merde faut pas déconner.
Confession finale… !
Je n’ai pas peur de me contredire : j’ai déjà fait le grand saut il y a des années, donc je ne vais pas jeter la pierre à qui que ce soit. Une Switch avec Breath of the Wild c’est un peu ce que j’ai raqué pour mon fantasme de gosse, sur Sonic CD à l’époque du Mega-CD : 2000 francs ! Et ce pour un seul jeu, certes mythique – il y avait bien Road Avenger dans le bundle, pas une grosse merde mais presque.
Et puis d’ailleurs, quand j’y pense, j’ai réitéré ma folie pour la 32X, que je n’aurai acheté que pour Virtua Racing Deluxe (j’étais dingo de ce jeu et voulais construire mon propre racing cabinet) ! Et pareil pour le PC, que j’ai acheté uniquement pour jouer à Dune… mais qui ne m’a jamais déçu, lui, car le PC n’a jamais encore mis d’écriteau « The End » : c’est un univers qui n’arrêtera plus de s’étendre, peut-être jusqu’à la fin des temps.