Temps de lecture : 4 minutes
Ouvert la Nuit, le dernier film d’Edouard Baer, m’a fait autant de bien qu’un Captain Fantastic. C’est pourtant deux films qui peuvent sembler diamétralement opposés, tant par les thèmes abordés que par le cadre dans lequel ils se déroulent. Pour moi, Ouvert la Nuit est clairement le meilleur film que j’aie vu en 2017. Bien avant Star Wars et compagnie.
Quel rapport entre ce film et la passion du jeu vidéo ou la culture geek ? Pratiquement aucun. Il y a bien ce petit clin d’œil au Japon, pays qui nous est tous cher ici, à travers la mise en scène d’un pièce de théâtre un peu étrange, dont le film se focalise sur le bouclage, la veille de la première. En plus, on y voit Michel Galabru pour la tout dernière fois… Mais dans Ouvert la Nuit, tout est dans l’état d’esprit passionné du personnage principal, Luigi, incarné avec brio par Edouard Baer, qui déambule dans la vie tel un saltimbanque, et pour qui tout est nourriture. Je pense que ma passion du jeu vidéo est du même ordre – par rapport à un vrai papagamer assidu et à plein temps – je tire davantage sur le fou errant, à mi-chemin entre le burlesque et la poésie, forçant la magie là où il n’y en a pas. En tous cas, c’est ce que j’aimerais… !
Dans Ouvert la Nuit, tout comme Viggo Mortensen dans Captain Fantastic, Edouard Baer incarne un personnage décalé et anarchiste, au vrai sens du terme, sans Dieu, ni Maître, qui croque la vie (plutôt que le pixel) à pleines dents, remet l’humain à sa place et pousse sa logique personnelle jusqu’au point de rupture, quitte à se mettre tout le monde à dos. La comparaison entre les deux pères s’arrête là, bien qu’on les imagine mal l’un comme l’autre tenir une console entre les mains et jouer aux jeu vidéo avec leurs enfants… ! Le personnage de Luigi est en effet bien loin d’être un père investi : sa paternité est déjà derrière lui. On réalise progressivement qu’il est devenu père à un autre niveau que celui de simple « papa ». Il est le père symbolique et presque magique/divin d’une troupe de théâtre, qu’il fait survivre, au jour le jour, et se vit lui-même en cherchant non pas à se sacrifier pour sa famille mais en se réalisant entièrement.
Quand on voit ce film – qui est véritablement un film initiatique – jusqu’au bout, il n’en ressort rien d’immoral ou d’individualiste, sauf peut-être aux yeux de Faeza, sa compagne d’errance d’un temps. Etudiante en 2e année d’H.E.C. et à l’avenir tout tracé, celle-ci offre le contrepoint logique et politiquement correct (celui du spectateur), suscitant les moqueries de Luigi à cause de son compagnon Jean-Bernard, qu’on ne verra jamais, sauf de loin et en photo.
Enfin, si Ben, le père de Captain Fantastic, tout aussi critique de la normalité, cherche à tout maîtriser – et impressionne sinon interroge le spectateur dans ce degré de maîtrise, qui peut être parfois pervers – le personnage de Luigi n’est pas du tout le maître de sa vie : la vie est son maître. Et putain, que celà fait du bien…
D’habitude, je me méfie des films plébiscités par les critiques de Télérama – neuf fois sur dix, j’ai raison. Mais là, c’est vraiment un très bon film, qui met en scène une sorte de réalisme poétique un peu déjanté, mais qui ne glisse jamais totalement dans le surnaturel. Je n’avais plus ressenti cela depuis l’immense Alberto Express, un film méconnu d’Arthur Joffé datant de 1990, que j’avais vu à la télé étant gamin sans en connaître le titre et que j’ai ensuite passé dix ans de ma vie à chercher. Dans ce dernier, on retrouve au passage Marie Trintignant pour un tout petit rôle, avec beaucoup d’émotion. C’est un film entièrement centré sur le fait d’être père et sur la transmission, jusqu’à la résilience… ça devrait vous parler… ! Je vous le conseille très vivement, car je pense que s’il n’y avait qu’un film au monde à garder, en ce qui me concerne, ce serait celui-là.
Ci-dessous, la version complète (c’est incroyable ce qu’on trouve sur youtube de nos jours)… à voir, peut-être, si on fait abstraction des sous-titres en anglais et de l’infernal message Property of TF1 International permanent. Sinon autant vous procurer une version de meilleure facture :
Alberto Express et Ouvert la Nuit sont des films très drôles, ce qui ne gâche rien : on est loin du drame familial à la noix et de la fascination pour le sordide que l’on trouve habituellement dans les films d’auteurs français. Je tiens à rassurer au passage, pour les spectateurs pas trop fans (comme moi) d’Audray Tautou, que son rôle est plutôt anecdotique, et exagérément mis en valeur sur certaines affiches du film. Sans doute une histoire de marketing, encore et encore…!
Ouvert la Nuit est le seul film que j’aie vu qui rende vraiment hommage à la ville de Paris et à ses lieux interlopes, à des années lumières des grosses ficelles et bobïtudes d’un Paris Pieds Nus, d’un Les Derniers Parisiens ou même d’un Paris (tout court) de Cédric Klapisch. Attention, ces derniers ne sont pas des mauvais films, bien loin de là. Et concernant Klapisch, il aura néanmoins – et à sa décharge – réalisé l’excellent Ce qui Nous Lie cette année, sur le monde du vin en Bourgogne, qui aura été mon second coup de cœur Made In France. Je vous le conseille également. Vous avez du film d’auteur sur la planche ! Bon visionnage.