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[#26] Mort et renaissance dans Zelda ? Retour sur l’intrigant Majora’s mask

Temps de lecture : 10 minutes


Le 13 février 2015 sort dans nos contrées le remake sur 3DS du méconnu et sombre The Legend of Zelda: Majora’s Mask. Cet épisode édité après Ocarina of time sur Nintendo 64 en 2000, arrive enfin sur 3Ds, tant il fut désiré et espéré par de nombreux fans, dont fait parti votre fidèle rédacteur. Mais par où commencer pour parler d’un épisode si particulier, si tranché dans une série canonique, tant balisée ? Il est vrai que ce Zelda ne laisse pas indifférent par son univers inquiétant, et fut pour beaucoup zappé (ou oublié) face au rouleau compresseur de la PS2 en 2000, ou au contraire décrié en raison de son statut tellement à part. Finalement, ce jeu qui soulève nombre d’interrogations bien plus profondes que n’importe quel Zelda, mérite que l’on y revienne un instant pour réfléchir sur un jeu si étrange et passionnant.

 

Petit retour sur un article publié en 2015, en raison de la découverte d’une nouvelle vidéo sympa sur Majora’s Mask… pour mieux comprendre la série.

En fin d’article pour les plus pressés !

Son pouvoir de séduction est à l’image du mal qui l’habite

Saturne dévorant un de ses fils (Francisco de Goya)

Le masque, oui ce masque…, ce fameux masque de Majora. Tout tourne et part de ce masque maudit qui vous fixe et dévisage dès l’écran titre du jeu. Il est partout, omniprésent, et vous fixe avec force. Ce regard obséquieux, obsédant, renforcé par l’absence de paupières, met mal à l’aise le joueur, qui le soutient difficilement. La folie est sous-jacente dans ce regard vide et persistant : vous êtes mis à nu, perdez votre propre masque et devez détourner votre regard face à ces yeux de braise,  appuyé par ces deux pupilles vertes dilatées, hors nomes. Cette folie du regard est dérangeante à plus d’un titre, car elle puise sa force dans nos pires craintes, nos plus vils instincts, comme l’illustre certaines œuvres d’un Goya ou d’un Jérôme Bosch. La folie des hommes libérée par leurs actes, leurs conduites les amènent à commettre l’irréparable, et démontre que le pire que l’on croit toujours chez l’autre, sommeille en faite … à l’intérieur de chacun d’entre nous. La monstruosité de ce regard est appuyée également par l’absence de détails physiques propres à un visage réconfortant, car nous mettant face à un semblable, et renforce ce malaise : l’absence de bouche, d’oreilles ou de nez, empêche toute communication avec ce visage renfermé dans ses propres tourments infernaux. Enfin, à ces éléments il faut ajouter les défenses, ou plutôt les épines entourant le masque comme autant d’ossement d’une improbable créature disparue, mélange de dragons et autres sauriens terrifiants. À la fois outils défensif, elles sont aussi des excroissances de la souffrance de son hôte qui porte ce masque comme un fardeau empêchant tout contact avec autrui, sans risquer de le blesser. En outre, on peut voir dans ce masque un clin d’œil à certaines représentations démoniaques en particulier dans la culture  du Sud-est asiatique, comme à Bali, de Barong, figure mythique du seigneur de la forêt sous forme d’un lion opposé à la sorcière Rangda, la reine démon (à gauche sur la photo)

Ainsi ce masque, effrayant par la folie de son aspect est bien au cœur de l’intrigue de ce Zelda : son pouvoir de séduction est à l’image du mal qui l’habite et qui séduit les esprits tourmentés, proies faciles et manipulables… D’autant plus, qu’un halo mystérieux entoure toujours ce masque 15 ans après, dont l’on sait peu de choses : quid de son origine et de son terrible pouvoir ? La très riche « Hyrule Historia » (encyclopédie officielle de The Legend Of Zelda) est malheureusement peu diserte sur l’origine de ce masque, mis à part qu’il était particulièrement malsain et utilisé pour des incantations… D’ailleurs dans le remake de Link to the past, souvenez-vous de cette secte présente dans le village du monde des ténèbres et portant des masques pour réaliser d’étranges rituels… Certains signes cabalistiques dessinés sur le masque, laisse à penser à d’antiques formules magiques oubliées depuis bien longtemps, mais toujours menaçantes.

 

Ce masque arrive dans le monde de Termina par le biais d’un étrange (encore !) marchand itinérant, qui se le fait dérober par un jeune enfant perdu de la forêt Koikiri, devenu un Skull Kid. En raison de son aspect, de son caractère espiègle, ce pauvre enfant est rejeté de tous et vit isolé dans son monde, accompagné de deux fées fidèles. Ce masque loin de devenir l’unique outil de son profond ressentiment, devient celui de sa vengeance, mais aussi celui de son fardeau, voire de son maître apocalyptique qui cherche à jeter l’opprobre sur tous les habitants de Termina et détruire le monde dans lequel lui aussi, il vit.

On se rend vite compte de leurs profondes inhumanités

Ce Zelda pose plusieurs questions sur la notion de vengeance, la sensibilité et la séduction du mal par sa capacité à assouvir les pires instincts et redonner à un individu insignifiant une capacité de nuisance folle, dissimulant finalement une profonde solitude. Ce Zelda me surprend toujours par les thèmes abordés loin d’une dialectique simpliste et basée sur le dualisme du bien et du mal propre à la série. Finalement on s’aperçoit que les habitants de Termina dans lequel se déroule l’histoire sont loin d’être que de simples victimes des tourments de Skull Skid. Il soulève également d’autres interrogations sur leurs propres responsabilités dans l’arrivée de cette fin du monde au bout des 3 jours fatidiques. De même, Link en se démenant entre tous les protagonistes du jeu (par le biais d’un journal de quête consignant les multitudes actions à faire parallèlement à l’aventure principale), le joueur se rend vite compte de la profonde inhumanité de certains, vivotant dans un bain d’égoïsme et une grande lassitude, face à une fin inéluctable.

Outre le fait de faire appel à la peur toute médiatique de l’an 2000 dans une improbable fin du monde, Nintendo fait ici un clin d’œil à un ensemble de mythes eschatologiques propre au domaine religieux, et touchant tout un chacun. D’ailleurs, le début du jeu accentue cette ambiance délétère : le fier héros d’Ocarina of Time, se fait dépouiller de son Ocarina, de son cheval et comble de l’horreur, est réduit à devenir une « peste mojo » insignifiante après une transformation où le personnage hurle à la fois son désespoir (littéralement !) et sa souffrance physique, proche d’une terrible agonie.

Le joueur est physiquement lié au funeste destin de ce monde voué à être exterminé dans un délai de trois jours par cette  lune menaçante omniprésente qui vous fixe du regard à l’extérieur des bâtiments, et dans les donjons, le joueur est rappelé par le temps qui suit son terrible compte à rebours.

Le héros réduit à sa plus simple expression, dépouillé de ses attributs virilisants (épée, bouclier, force), redevient un spectateur face à cette lente agonie d’un monde sur le point de disparaître. Et là est la force de cette histoire menée tambour battant par Nintendo, par sa capacité de rebonds, le héros désacralisé doit démontrer que ses faiblesses apparentes peuvent devenir une force pour affronter ses propres difficultés et finalement faire sa place dans ce vaste monde.

L’évolution du personnage est ainsi inversée : de fort, il devient faible et compense cette faiblesse par le recours à ces différents masques qui peuplent son aventure, donnant au personnage de nouvelles capacités qu’il doit adapter au contexte et à la géographie des lieux. Si l’on commence généralement un Zelda sous la forme d’un personnage lambda, ici se renforce cette sensation d’avoir tout perdu à la différence d’un Zelda classique où l’on devient un héros et où on n’est pas déjà LE héros. Le gameplay renforce cet état de fait, et donne au joueur les outils pour maîtriser son destin en devenant progressivement le maître du temps par sa possibilité d’accélérer, ralentir ou revenir en arrière, remettant à jamais cette fin du monde qu’il repousse, mais dont il doit trouver une issue pour s’en échapper.

Un monde parallèle étrange

En outre, ce Zelda est particulier par sa place chronologique dans l’histoire de la série : suite logique d’Ocarina of time, il est également l’une des branches scénaristiques qui scinde la série en trois parties (ici l’extrait d’Hyrule historia p.69) :

Ainsi, Majora’s mask est une branche parallèle de l’histoire principale, et détail majeur, le fait que l’aventure se déroule à Termina et non à Hyrule, dans un « monde parallèle étrange dans lequel vivent des gens au physique relativement proche de ceux des habitants d’Hyrule » d’après Hyrule historia (p.111). D’ailleurs, cette notion de monde parallèle sera réutilisée par la suite dans l’excellent Twilight Princess (qui bien que se déroulant à Hyrule, tranche radicalement avec celui connu par les joueurs). Ainsi, on puise dans le même type d’univers, déclinant devant la progression d’un mal viscéral, et où tout semble perdu d’avance. Là encore, Link pour faire face à de nouveaux dangers se doit de se transformer (en loup), bref d’accepter de changer une nouvelle fois d’identité et d’abandonner son apparat héroïque de base. Plus fort, il doit même accepter d’aider (ou d’obéir comme lui rappel la chaîne à l’une de ses pattes) Midonna princesse déchue du crépuscule, proche physiquement d’un Skull Kid et dont la noirceur de départ ne laisse guère d’espoir pour sa propre rédemption… .

Termina… comme terminé ?

Mais revenons à Majora. Ce monde parallèle, Termina, dérange à plus d’un titre le fan de Zelda, même si l’aspect sombre du titre n’est finalement que la continuité d’autres titres antérieurs : si Hyrule baigne dans la lumière (Zelda I, II ou III voire Ocarina), son pendant maléfique démontre une vraie noirceur au sein de l’univers zeldatesque. Mais ici, les créateurs du jeu parlent bien d’un monde « parallèle », étrangement proche d’Hyrule et non le monde des ténèbres, pendant maléfique du monde de la lumière (par le biais de la corruption de la terre d’or par Ganon). Le début du jeu présente Link, sortant d’Ocarina, porté lourdement par Eponna qui se déplace lentement et donne l’impression au joueur qu’il est dans un rêve : seul dans cette forêt baignant dans la brume, inquiétante par son silence pesant et par la force des choses, Link tombe dans un trou sans fond (entouré de symboles étranges) et fini par se perdre dans ces bois pour aboutir après quelques péripéties (que je vous laisserai découvrir, NO Spoil 😉 ) au centre du village de Bourg clocher. Cette introduction est pourtant lourde de sens, et la suite du jeu n’en est pas moins trouble : si l’on passe sur l’éventuelle incohérence (qui n’en est pas une à mes yeux) du héros qui se retrouve au centre du village, puis sur ce deal qu’il passe avec cet étrange marchand de masques lui demandant de retrouver celui de majora qu’on lui a dérobé, le jeu oblige le joueur à porter de nouveaux masques lui conférant de nouveaux pouvoirs, ceux des âmes des personnes qu’ils sont censés représenter… Et là vous l’avez compris je pense, ce Zelda soulève la troublante question de l’existence même du héros : n’est-il pas en faite l’ombre de lui-même, ombre bien entendu trépassée après Ocarina of time et déambulant sans but dans ce monde parallèle, de surcroît dénommé « Termina » partie intégrante du « monde des ombres » d’après Hyrule Historia ? Le passage du départ dans la forêt où le héros vagabonde dans un labyrinthe et renaît sous une forme inférieure (en peste mojo) puis arrive après un long tunnel en ville, n’est-il pas le symbole d’une renaissance du personnage dans cette nouvelle vie devenue un purgatoire sans fin ? Et Skull Kid … n’est-il pas la traduction d’enfant … squelette ?

Ce Zelda pose donc la question de la mort du héros, et la poursuite de sa quête dans l’au-delà en tentant de modifier non sa destinée, mais d’apaiser ce monde qui se doit de disparaître après les trois jours fatidiques. Quête digne d’un Sisyphe par son action et son ocarina qui peut remonter le temps indéfiniment à l’aube du 1er jour. Jeu profond par les thèmes abordés, dans la continuité d’un Ocarina of time qui faisait passer le joueur de l’enfance à l’âge adulte, ce jeu aborde la question de l’existence même du personnage, qui pour la première fois dans la série n’est plus dans un rêve (Link’s Awakening sur Game Boy) ou alternant entre le monde de lumières ou des ténèbres (Link’s to the past), mais désormais dans un purgatoire où le héros trépassé doit chercher son chemin pour obtenir la rédemption et le repos éternel, bien plus que pour sauver un monde qui finalement n’existe pas.


Quelques sites, qui finalement sont proches de cette théorie :

un très bon résumé des connexions entre les épisodes de Zelda : http://www.gameblog.fr/article-lecteur_2371_deuil-d-un-heros

Un autre résumé en vidéo pour les allergiques de la lecture :

Une autre vidéo plus récente (septembre 2017) toute aussi intéressante sur ces mondes parallèles ….

3 commentaires
  1. lamyfritz
    13 Fév. 2015 à 21:51 -----> lui répondre

    Excellente rétrospective, bravo ! Le thème du purgatoire et du samsara sont très présents dans Majora’s Mask, où l’occident rejoint l’orient… Le cas de Guybrush Threepwood est similaire dans Monkey Island II, j’en parle ici : https://octopaddle.wordpress.com/2014/12/14/retrotest18-le-secret-de-lile-aux-singes/). Il est déchu de son statut de héros dès le départ, cependant, contrairement à Link, il ne trouve pas de rédemption, et prend la fuite tout du long, comme ces sinistres PNJ de Majora’s Mask tout compte fait.
    La difficulté de Majora’s et l’absence d’indices pour progresser m’ont rebutées à l’époque (et, alors débutant un nouveau job très difficile, je n’ai pas eu le loisir d’insister) mais il me semble que cette haute difficulté donne sa dimension au jeu – comme c’était le cas dans certains très vieux jeux – une difficulté qu’on ne retrouve plus de nos jours, car on a trop peur de traumatiser/frustrer les joueurs (ou les écoliers, d’où les nouveaux systèmes d’évaluation par comp… allez je sors). Bref, Majora s’adresse principalement aux rérogamers et ne trouvera pas, je pense, son public chez les jeunes. Ou alors j’ai rien compris au film… !

  2. octopaddaone
    13 Fév. 2015 à 21:58 -----> lui répondre

    Quand j’ai débuté la rédaction de cet article, j’ai pensé en me relisant « diantre, c’est du lamyfrtiz à 100% » 😉 Oui, le parallèle avec Monkey island est pertinent à plus d’un titre, et l’on peut faire le lien entre une vision orientale (zelda) et occidentale (monkey) sur cette place de l’enfant/ adulte et la mort. Ton article que tu cites soulève bien ce dilemme qui fut finalement celui de nombre d’entre nous, on pourrait en parler pendant des heures. Par contre pour la difficulté, je vais m’y replonger ce soir pour voir ce qu’il en sera … je pense que Nintendo a modulé la difficulté, mais d’un point de vue logique (sur la sauvegarde qui était chaotique sur la version N64). Je m’y (re)mets !

  3. melkiok
    27 Déc. 2015 à 01:21 -----> lui répondre

    Petite coquille 😉

    « Huryle Historia »

    Une belle analyse quasi philosophique de ce cher Majore auquel je ne me suis jamais adonné
    Mais cette construction plus qu’atypique de l’histoire sans parler de l’univers noir dépeint me rebute carrément…

    Je plussoie sur le com ci dessus je pensais aussi que l’ami LamyFritz était l’auteur au départ ^^

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