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[à voir] « Silence » : Scorsese au temps des samouraïs

Temps de lecture : 5 minutes

Ca fait un moment que je voulais voir Silence, le dernier film, d’ailleurs très critiqué, de Martin Scorsese – non pas que je sois spécifiquement un grand fan de ce réalisateur, mais surtout parce que ce film raconte la tentative de christianisation du Japon au XVIIe siècle. Ou quand la religion affronte l’état…

Ah ! Le XVIIe siècle, le siècle de toutes les aventures. Ah ! Le Japon des samouraïs, que d’images qui nous viennent à l’esprit, papagamers ! Silence met en scène la rencontre, je dirais même le clash entre deux mondes : le christianisme évangélique et le Japon féodal. Il s’agit évidemment d’un film de type « film d’auteur » (V.O. oblige) mais avec un budget conséquent, on s’en doutait : 161 minutes de pure immersion, que je n’ai pas vues passer, et qui vous donnent de quoi ressentir beaucoup d’émotions fortes, et de quoi réfléchir au débat actuel sur la façon dont on devrait vivre sa foi.


Au niveau esthétique, on est dans l’esprit contemplatif typique du Japon traditionnel, un peu comme ce qu’on pouvait trouver dans Your Name, en beaucoup moins glamour et beaucoup plus rural, mais avec une plastique impeccable, qui rappelle les estampes d’HokusaÏ. Tout est très sérieusement filmé, net, précis, bien qu’on puisse encore  trouver dans Silence une certaine forme d’humour rafraichissant, comme ce gag récurrent avec le personnage de Kijichiro qui passe tout le film à vouloir se confesser.


Le thème des chrétiens du Japon – qui furent persécutés et qui devaient notamment renier leur foi en marchant sur des effigies du Christ ou de la Vierge Marie – ne m’était pas étranger, ayant pas mal étudié cette période à l’époque de mes années universitaires, et ayant lu Le Clan des Otori, une fiction populaire qui évoque la fameuse religion interdite. Mais il existe une série animée d’anthologie qui raconte en filigrane les événements de cette période, il s’agit de Samurai Champloo, petit bijou de 26 épisodes de Shinichiro Watanabe, l’auteur de Cowboy Bebop. Si vous ne connaissez pas ces deux séries, il est encore temps… ! Je n’ai pas vu les réalisations les plus récentes de Wantanabe, mais j’aimerais bien !


Toujours est-il que j’ai eu envie de voir Silence dès que j’ai vu la bande annonce du film. C’était juste avant Paterson, le dernier film de Jim Jarmusch, un réalisateur hors ligne que j’aime beaucoup, auteur notable de Only Lovers Left Alive et Broken Flowers, deux chefs d’œuvre que je vous conseille vivement. D’ailleurs, il est notable que Jim Jarmush ait, pour son dernier film Paterson, choisi l’acteur Adam Driver, notre Kylo Ren de Star Wars Episode VII. Adam Driver joue également dans Silence, avec Liam Neeson : ça commence à faire beaucoup de Jedi, tout ça ! Et honnêtement, Adam Driver est un putain de bon acteur, au moins en ce qui concerne les films d’auteur. Le seul film où je l’ai trouvé nul, au final, aura été Le Réveil de la Force. Mais qui sait ce qu’il nous réserve pour les épisodes suivants ?


Silence pose la question de la foi. Dans une perspective très protestante, le héros, incarné par Andrew Garfield, doit faire la part des choses entre le commandement de l’Eglise et le commandement de sa propre foi et de son interprétation de la parole de Dieu. Le Japon, qui rejette le Christianisme, met ce dernier en péril, car cette religion est supposée être universelle et apportée au monde entier. Le Japon y voit à juste titre une menace d’ingérence de l’occident dans ses affaires, et se voit donc également mis en péril par cette religion, la réprimant dans le sang, mais non sans tentatives de rappel à la raison.


Ce film est quelque part un plaidoyer pour l’apostasie (un terme qui revient souvent dans le film et dont j’ai déjà parlé sur le blog, n’est-ce pas Melkiok ?), celle-ci étant paradoxalement présentée comme la solution la moins égoïste et la plus pragmatique. En plus de celà, Silence me semble apporter le terreau d’une véritable réflexion sur la laïcité. Ou : comment être capable de vivre sa foi, en la domestiquant, c’est à dire, en la reléguant à l’espace privé. Dans l’espace public, seul l’Etat doit prévaloir, pour garantir l’accès au savoir et à la connaissance. Des religions monothéistes, seul le judaïsme n’est pas conquérant et n’aspire pas aux conversions. Quand aux deux autres, on en entend que trop parler en ce moment, faute de leur prétention à l’universalité.

Les défauts (minimes) du film ont trait à l’utilisation de l’anglais comme langue internationale « miracle » dans un Japon supposément fermé à l’étranger, et ce même chez les plus pauvres des paysans, qui parlent mieux que des élèves de lycée en France après 7 ans de pratique (mais c’est peu dire). Aussi, rien de bien grave, mais j’ai trouvé la voix off de la dernière partie du film un peu trop présente, et un peu trop explicite, là où justement, j’attendais plus de silence. Un peu comme dans Juste la Fin du Monde de Xavier Dolan, récemment primé, un film certes un peu bobo mais qui arrive à dire des tas de choses rien qu’en les contournant.


Puisque je suis dans la veine « cinéma d’auteur » aujourd’hui, j’en profite pour évoquer ce dernier film, que j’ai également vu et sur lequel tout le monde va se sentir obligé de donner son avis pour être dans le vent. Hé bien en ce qui me concerne, Juste la Fin du Monde est un bon film, mais ne casse pas des briques. Il s’agit d’une adaptation de pièce de théâtre, or, le film n’est constitué que de gros plans, ce que j’ai trouvé un peu facile. En effet, tout se joue dans les tensions sous-jacentes, et en cela le film est réussi, il et vrai, mais il est aussi très énervant et oppressant, un peu comme un café trop serré bu le cul entre deux chaises avec des collègues de boulot qu’on aime pas (évitez de le regarder le soir, donc). Enfin, je trouve que la présence même de Léa Seydoux et Marion Cotillard, les deux gourdasses bankable du moment, diminue considérablement la portée des Césars reçus par le film, qui fleurent le parfum de l’entre-soi et du gros coup publicitaire. C’est dit !

1 commentaire
  1. Wendy Le Gall
    12 Sep. 2017 à 12:25 -----> lui répondre

    J’ai également eu l’occasion de visionner Silence et j’ai bien aimé. J’avoue qu’au début, j’étais un peu sceptique, parce que ce n’est pas le genre de film que j’aime en général. Mais, je ne regrette pas de l’avoir découvert.

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