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Voilà quelques jours que je voulais voir Captain Fantastic, avec Viggo Mortensen. Enfin un film sur la façon de mener sa paternité, ce qui est chose rare. Je vous le recommande vivement !
Force est de constater que Viggo Mortensen est connu pour ses rôles à forte résonance paternelle. Dans Le Seigneur des Anneaux (sans conteste son plus mauvais film), il incarne Aragorn, le descendant des rois de Numenor, qui finit par récupérer son trône : le Roi est bel et bien le père de tous les sujets de son Royaume. Dans La Route, il incarne ce père qui guide son fils à travers un monde apocalyptique et crépusculaire. Un film dur, qui ne laisse pas indemne. Et enfin, dans Captain Fantastic, il incarne ce superhéros d’un autre genre : un père fort, libre mais responsable, tout simplement.
Drôle de titre, quand on y pense. A la fin du film, on se demande encore pourquoi il l’ont appelé comme ça, à mi-chemin entre Fantastic Four et Captain America. Mais il est clair que ce film raconte une fiction, je dirais presque une histoire de science fiction : le concept a été poussé à l’extrême et a été certainement conçu pour faire débat. Certaines évidences sont escamotées ou passées sous silence pour faciliter la narration et certains revirements de situation tirent un peu du côté des téléfilms de Walt Disney pleins de bons sentiments.
Au niveau du scénario, résumons-le dans les grandes largeurs : un couple décide d’éduquer leurs (six !) enfants dans la nature, à la sauvage. Bon : le cadre est idyllique, il fait toujours beau, personne n’est jamais malade ni attardé mental, et je pense qu’on a tous un jour rêvé de ça. Dès le début du film, on est à la fois sceptique et conquis, à la manière de ce couple de citadins que la fratrie rencontrera un peu plus tard dans le film et qui devra bien admettre son infériorité et ses préjugés. En effet, tout ce beau monde sera dans l’obligation de se confronter à la civilisation à cause du décès de leur mère, dont l’enterrement est organisé de l’autre côté du pays. Road Trip à la Little Miss Sunshine !
C’est d’ailleurs le moment de cette confrontation entre le père de famille et sa sœur citadine, au milieu du film, qui est le plus didactique. Il nous présente deux points de vue éducatifs, à travers la confrontation entre les enfants sauvages qui savent chasser, faire du feu, et qui n’ont d’autres distractions que de lire des bouquins techniques et/ou engagés, contre les enfants citadins qui jouent aux jeux vidéo et vont à l’école comme les autres. Le film est sans équivoque et condamne notre jeunesse pourrie jusqu’à l’os. Il condamne surtout l’équation mentir = protéger, qui mène à la haine de la vérité et au déni de réalité. Le couple citadin expose ainsi ses enfants aux jeux vidéo et à une école publique décérébrante mais se voit incapable de leur avouer de façon simple et sans détours que leur tante s’est suicidée. La question est : où place-t-on ses propres limites ?
Le mode de vie à la sauvage a évidemment lui-même ses limites et le film le montre bien. Cependant, le scénario est suffisamment bien mené pour nous faire réfléchir à ce sur quoi nous pouvons ou non capituler en ce qui concerne l’éducation de nos enfants. Si le mode de vie présenté est extrême (plutôt que de fêter Noël, ils fêtent l’anniversaire de Noam Chomsky !), nous nous y retrouvons tous forcément un peu (voire beaucoup) car nous savons tous au fond de nous-mêmes ce qui est bien quand nous le défendons et ce qui est mal quand nous laissons faire les choses.
Puisqu’on parle de bien et de mal, la religion – mise sur le même plan que la société de consommation – en prend pour son grade, ce qui soulage, surtout dans un film américain, et dans cette période de langue de bois insupportable. La famille, thème cher au cinéma d’Hollywood, est ici centrale, mais malgré tout malmenée par les exactions des grands-parents, extrêmement riches, possessifs et égoïstes, et donc potentiellement capables de ravir les enfants à leur père.
Au fur et à mesure du voyage, la petite famille s’enfonce dans un paysage de plus en plus chic et aseptisé, jusqu’à la villa des grands parents, une sorte de point de non-retour, une porte de l’enfer symbolique. Un des enfants est même séduit par une simulation de chasse en jeu vidéo ! Certes, si les grands parents vivaient dans un deux pièces en banlieue, ils feraient moins les malins, mais comme je vous le dis, dans ce film, le concept est poussé à l’extrême. Nous mêmes ne pouvons être que séduits par leur niveau de vie très élevé, pourtant, leur ambition est manifestement de vivre dans la mort de leur fille et le culte du deuil à perpétuité.
Ce film a plus que jamais confirmé notre envie de nous faire incinérer, mon épouse et moi-même. A vous de juger ! Si ce film raconte l’histoire de toutes les familles confrontées à la mort, il raconte avant tout cette tension entre les valeurs internes familiales quelles qu’elles soient et leur confrontation au monde extérieur quel qu’il soit. Et plus j’avance, plus je me dis que les valeurs « jeux vidéo » et autres réseaux sociaux et tablettes sont devenus des chevaux de Troie qui font surgir le mal de l’intérieur, et d’autant plus car notre génération se fait endormir par la charge de sympathie que tout cela représente pour nous, pionniers en la matière. Mais il y a 20 ans, tout n’était pas encore connecté et nous pouvions garder le contrôle. Encore une fois, tout est histoire de contrôle, dans ce film, par le père, contrôle parfois étouffant, certes, mais irremplaçable et qui ne souffre d’aucune forme de délégation.
Mais que de chemin parcouru pour Viggo Mortensen, depuis le Roi Numenoréen, icône d’une culture geek ultra consommatrice, jusqu’au père de famille New Age, icône de l’anti-culture geek. Pour ne pas spoiler le film, je vous invite, après l’avoir vu, consulter ce lien sur les conflits et les enjeux du chasseur (ou « guetteur ») qui est en nous, programmé génétiquement pour survire, dans une humanité sédentarisée par l’agriculture depuis des millénaires : c’est tiré du cabaret mystique de Jodorowski, donc une excellente lecture, une façon de se découvrir encore un peu plus soi-même.