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Avec Brice de Nice, voilà le Jo-con, ou l’î-con, c’est vous qui voyez… ! Compte-rendu d’un film attendu, du point de vue de papa gamer, expérimenté hier soir en salle obscure avec mon grand fils. Autant vous le dire tout de suite, nous nous sommes bien marrés…
Le film présente d’emblée un personnage vieilli de façon a assumer la discontinuité entre les deux épisodes, entre lesquels se sont écoulés 11 ans. Jean Dujardin, qui approche des 45 ans, incarne un Brice has been, adulescent, qui fut riche autrefois, mais qui, pauvre, est resté le même, toujours aussi con, et sûr de lui. Le film présente également une version âgée de Brice, le film étant construit à la manière d’un flashback.
Le personnage de Brice est donc à l’image de sa légende : à la fois dans la rupture et dans la continuité, soit un demeuré aux codes bien établis qui sert de machine à fric à intervalles réguliers. Il résonne avec la génération geek des années 80, dont nous, papa gamers trentenaires de l’octoblog, font incontestablement partie. Revenons sur cet étrange mythe.
Les origines : génération X
Brice de Nice, c’est en effet toute une histoire, qui remonte à la fin des années 90 et qui met Jean Dujardin – qui n’était alors pas aussi connu qu’aujourd’hui – sur le devant de la scène, aux côtés de Bruno Salomone. Brice est déjà ce héros décalé et outrancier, tel qu’on le connait bien, et on le voit apparaitre dans quelques sketches tournés pour la troupe d’humoristes Nous ç Nous pour la télévision.
Ces quelques sketches sont devenus cultes – en particulier celui de Brice en vacances, le plus abouti – à l’époque du web 1.0. Les vidéos circulent alors sur la toile en très basse qualité, dans des formats rédhibitoires, et il se crée toute une sous-culture autour du personnage de Brice de Nice et du concept de « casse ». La notoriété acquise postérieurement par Jean Dujardin avec Un Gars et Une Fille renforce l’impact de ces sketches auprès des internautes de l’époque. Je fais évidemment partie de cette génération, qui savait que tôt ou tard, internet allait permettre de développer une offre audiovisuelle alternative à la télévision.
Le premier film de 2005 : génération Y
Sur la base d’un succès commercial potentiel (ouvertement revendiqué), près de 10 ans après les sketches de la troupe Nous ç Nous, sort le premier opus, Brice de Nice, le film. Pari risqué, de faire tenir ces quelques sketches de quelques minutes aux concepts humoristiques très limités en un long métrage d’une heure quarante. Pourtant, ça fonctionne… !
Soyons honnêtes : Brice de Nice, le film, reste un navet de première catégorie, mais permet au héros yellow de se faire connaître du grand public, à l’époque où internet commence à se démocratiser et à changer les paradigmes avec l’ADSL. L’aspect un peu didactique du film, dédié au profane, peut même faire sourire le connaisseur*… !
* En français dans le texte
A travers ce premier film, le personnage se creuse (dans l’idée qu’on ne fait pas plus creux que ça), et il acquiert d’autres valeurs qu’on ne trouvait pas dans les sketches des années 90, telles que le fanatisme désopilant autour de la couleur jaune et du film Point Break, que certains auront eu forcément envie de (re)découvrir après ça.
Certaines nuances du personnage sont en revanche plus douteuses, telles que la valorisation du fric à outrance (ce n’est pas toujours du second degré et l’avènement du sarkozysme bling-bling n’est alors pas loin) ou la vision d’une Côte d’Azur associée à la fiesta et aux orgies, qui est un point de vue éminemment parisien sur la façon dont le monde du cinéma emploie la province. Heureusement que l’acteur Clovis Cornillac, partenaire de Brice, et second rôle officiel, vient ajouter une autre dimension au film. Celui-ci détient clairement la palme du rôle le plus décalé, et sa façon de parler dans le film reste à mes yeux une sacrée performance comique.
Brice de Nice 3 : génération Z
Et maintenant, plus de dix ans après, sort donc cette suite, que j’ai vue hier soir, Brice de Nice 3. J’avoue que je ne m’attendais à rien, je pensais voir un navet insipide et commercial utilisant la marque de sympathie liée au personnage, avec des acteurs grimés pour faire jeune à la manière d’un Johnny Depp, le tout dans un je m’en-foutisme total au niveau du jeu et du scénario . Mais je me suis trompé sur toute la ligne. C’est un navet, oui, mais de première catégorie, tout comme le premier, une digne suite, peut être même plus intéressante, car épurée de ces passages didactiques réservés au néophytes qui faisaient les lourdeurs du premier opus. Bon, des lourdeurs, il y en a, mais le film part du principe que désormais, le spectateur connaît Brice, et sait à quoi s’attendre. On trouve d’ailleurs des redites, à l’image près, du premier film.
Le film précise qu’il n’y a pas eu d’épisode 2, car Brice l’a « cassé ». Ce détail a son importance, le film mettant en scène un doppelgänger. Brice va en effet devoir affronter son double et le vaincre. Les jeux de miroirs et de doubles sont intéressants à plus d’un titre, puisque l’on va voir Brice à plusieurs stades de sa vie. En effet, Brice est à mes yeux ce personnage qui a traversé tous les stades décisifs de l’évolution du paysage audiovisuel français, et qui a (re)manié son image à sa convenance, tel ce vieillard qui embellit son récit et recolle les morceaux tout au long du film. A la manière des youtubers, Dujardin nous colle des placements de produits (réels ou fictifs) en pleine figure de façon outrancière, exagérée et ouvertement assumée. Pour faire court, Brice de Nice est une machine à fric qui surfe sur une seule grosse vague, qui revient tous les 10 ans, et de cette manière impose ses codes et sa légitimité.
Un film de geek
Le côte geek de la génération des années 80 se fait ressentir à plusieurs reprises. Notre génération est tout particulièrement bien représentée par la cassette VHS de Point Break en version chinoise, que Brice finit par connaître par cœur, allant jusqu’à répondre aux répliques de Bodhi en chinois (une véritable attitude de geek) ! A côté de cette insistance passéiste, on trouve des smartphones, des touristes chinois et des selfies, choses inexistantes dans le premier opus, ce qui nous montre bien que le temps a passé et que Brice est un personnage rétrograde, qui s’est construit sur des principes parfois aberrants (ne se faire payer qu’avec des pièces jaunes, par exemple).
D’ailleurs, au milieu du film, on trouve une séquence animée complètement WTF rappelant une scène de Kung Fury et pastichant Dragon Ball Z. Par le plus grand des hasard, il se trouve que j’avais ressorti Dragon Ball Z Tenkaichi 3 sur Wii une petite demi heure avant de me rendre à la séance de cinéma ! Brice de Nice nous montre ainsi à quel point nous pouvons être puérils à 30 ou 40 ans passés, et que vivre complètement libre a un prix, si tenté qu’on veuille bien le payer. Or, ce prix n’est pas celui de notre dissolution : une partie de Brice reste intacte dans tout ce qu’il traverse, au delà de sa propre compréhension du monde et de lui-même (très limitée bien évidemment) ! Dans le film, il y a même quelques séquences initiatiques (subversives, bien évidemment) comme ces coulées à-pic sous-marines, ou la rencontre avec le poisson rouge… énorme ! Pour finir, le film se fout lui-même ouvertement de son aspect prétendument pédagogique, et nous rappelle que tout ça n’est que fiction… purement commerciale ! Fallait pas trop en attendre non plus !
Je ne spoilerai pas davantage le film,vitrine des adulescents et du procès fait à toute une génération (et à celle du dessus) qui a beaucoup de mal à grandir. Pour les aspects négatifs du film, je regrette seulement les quelques longueurs (comme dans le premier opus : les scènes de faste et de musique à rallonge) et le fait que Clovis Cornillac ait un rôle aussi limité. Bruno Salomone est insipide et joue même mal : il n’est clairement pas dedans, à l’exception de la toute dernière scène dans laquelle on le voit. Mais ce film m’a redonné envie de « casser » et d’aller me foutre de la gueule des cons. Ah, que ça fait du bien, une fois de temps en temps !