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Petite critique d’un livre à la couverture argentée (et en relief) très aguicheuse, qui aurait le potentiel de devenir le livre de chevet de tout papa-gamer à vocation philosophique – sinon intellectuelle – qui se respecte.
Le titre complet : Ainsi Parlait Yoda : Philosophie Intergalactique.
L’auteur : Olivier Pourriol. Je ne le connaissais pas. Un prof de philo, conférencier. Bref.
Le concept : « j’adôôôôre le concept » ! Vous allez bien voir par vous-même.
Bon. Depuis Le Monde de Sophie, je n’avais pas retrouvé d’ouvrages philosophiques un tant soit peu ludiques. Mais il s’avère que ce Ainsi Parlait Yoda n’est pas si facile d’accès, tout compte fait, proposant une structure éclatée, déconstructiviste et post moderniste. A la fois très (trop ?) délirant et très (trop ?) sérieux.
Mi-figue mi-raisin.
Mi-figue : c’est le côté Star Wars, qui fait immédiatement envie au papa-gamer que je suis, c’est à dire, à celui qui a connu les riches heures de la trilogie fondatrice pendant les années 80, qui en a une vision d’ensemble, s’en fait sa propre idée, s’est fait des potes avec, a lu des choses sur le sujet, bref : s’en est inspiré dans sa propre vie. Bien que l’univers Star Wars ait été longuement ressassé et même dévoyé, la sorite du 7e opus fin 2015 fait souffler un vent nouveau sur cet univers. A l’ouverture du livre se pose donc la question clé : quel traitement original, quelle variation sur le thème l’auteur va-t-il nous proposer ?
Mi-raisin : c’est le côté philosophique entremêlé de passages narratifs, qui, comme je l’ai dit plus haut, n’est finalement pas si facile d’accès et vire au florilège poético-philosophique. Et c’est souvent indigeste. D’un côté, l’auteur met du Nietzsche, du Shakespeare, du Rousseau, du Aragon et même du Hitler, dans la bouche des personnages de Star Wars. Pourquoi pas. De l’autre, il nous raconte une petite histoire qui ne se prend pas du tout au sérieux : à sa mort, Yoda aurait laissé des écrits dans son manteau… mais on découvre d’autres surprises au fil de la lecture. D’autres textes et d’autres auteurs philosophiques invraisemblables entreront en scène, loin de l’image du sage à l’ancienne incarné par Yoda, pastiche évident de Zarathoustra.
Une narration au service de l’argumentation
Star Wars, c’est avant tout une histoire fantastique, d’où se dégagent quelques thèmes philosophiques et psychologiques. Ainsi Parlait Yoda, c’est tout l’inverse : une avalanche de textes de philosophie et une toute petite histoire.
Le livre oscille entre narration et argumentation. La petite histoire, racontée sous forme de pièce de théâtre écrite, sert de prétexte à introduire thèses, traités et autres correspondances épistolaires. Heureusement, ces passages philosophiques sont très courts (une à deux pages en général), mais très denses, et le livre manque au final de dynamisme malgré ce découpage très accéléré.
Derrière les thèses et les discours – un peu incongrus dans la bouche/ sous la « plume » de certains personnages – se cachent donc de vrais philosophes et de vraies citations, avec des aménagements. Les traités de guerre bushido à la sauce Sith remplaceront simplement le sabre du samouraï par le sabre laser. Tout se tient, c’est plutôt marrant, en fait ! L’auteur choisit d’ailleurs de développer ouvertement le thème du plagiat, qui constitue finalement un des piliers de la réflexion d’ensemble du livre : les Sith plagient les Jedi et réciproquement. Alors qui détient la vérité ? Tout est là. Et c’est sur ces toutes petites choses que j’ai apprécié ce livre.
Qui raconte quoi au final ?
Allez, j’avoue que parfois, je me suis surpris à rentrer dans l’histoire, malgré son invraisemblance. J’avais autrefois lu les romans Star Wars de Thimothy Zahn et cette expérience m’avait déjà demandé une certaine capacité d’ouverture, d’accepter une certaine toile de fond dans ce qu’on appelle « l’univers étendu ». Soit.
Ainsi, le livre s’appuie sur certains événements de Star Wars qui sont discutés par des geeks : pourquoi Dark Vador épargne-t-il Chewbacca dans l’Empire Contre Attaque ? L’auteur donne ici une version tout à fait inattendue ! Mais voilà : c’est à peu près tout pour les grandes révélations, et on reste sur sa faim. Peut-être que ce livre, tout à fait impersonnel par sa multitude d’emprunts, est finalement trop personnel, trop refermé sur lui-même.
Du côté des thèses philosophiques, rien de bien neuf. J’ai parfois reconnu certains auteurs, mais tout est très habilement dissimulé et mélangé. Cet empilement de références est heureusement explicité en annexes, où chaque personnage rend à César ce qui appartient à César. On a finalement une sorte de jeu de piste, où l’auteur à l’air de s’être bien amusé. Le profane, lui, ne va pas s’éclater par contre. Même versé en philosophie, on galère.
Au final, presque tout en revient à « la Force », concept au cœur de presque toutes les discussions philosophiques. On pouvait s’y attendre, certes : dans les très décevants épisodes I, II et III des films, George Lucas a explicité et rationalisé l’idée de la Force, qui était à la base un tout petit ingrédient scénaristique, ayant peu à peu pris toute la place, et gagnant pratiquement le statut de religion, sinon de contre-culture. Mais le livre ne le prend pas en ce sens là, heureusement. Bien loin d’expliciter ou de décrypter quoi que ce soit, il brouille davantage les pistes. Et en ce sens il rend hommage à l’esprit original de la série. Ne vous attendez pas à trouver le sens de la vie tout de suite !
D’un point de vue strictement thématique, tantôt l’auteur l’utilise la Force en remplacement de la foi, tantôt de Dieu, tantôt de la religion, tantôt du libre arbitre, etc. Cela dépend, quel philosophe d’emprunt se cache derrière le discours mis en scène. Du point de vue du fonctionnement des textes, la Force peut se poser comme une base de l’argumentation (comme autrefois Dieu était un argument en soi, irréfutable), ou bien comme objet de l’argumentation (est-ce que la Force, en tant que manifestation du libre arbitre, existe-t-elle réellement ?). Parfois, la Force est traitée pour ce qu’elle est : ces passages sont sans doute les plus intéressants, justifient un certain ordre à travers tout ce chaos, et subliment l’ensemble.
Bref, c’est de la soupe, il y a à boire et à manger. Mais au final, « force » est de constater que le livre n’atteint aucun des deux buts, philosophique ou narratif. On se demande toujours où on va. Mais n’est-ce pas là le sens de la vie ? Comme le préconisait David Precht, peut être faut-il simplement s’en tenir à la conclusion des Monty Pythons dans The Meaning of Life (une perle, à voir et revoir) :
Well, it’s nothing very special. Try to be nice to people, avoid eating fat, read a good book every now and then, get some walking in, and try and live together in peace and harmony with people of all creeds and nations.