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J’ai découvert l’univers de Dune d’abord par le jeu vidéo, qui fut un grand moment dans ma vie de papa-gamer. Longtemps j’ai entendu parler de l’adaptation manquée du livre de Franck Herbert par Jodorowski dans les années 70 et ce documentaire de 2013, intitulé Jodorwski’s Dune, raconte comment la genèse de ce film fantôme a marqué en filigrane toute l’histoire du cinéma hollywoodien.
Jodorwski, c’est avant tout le cycle de l’Incal, réalisée avec Moëbius, puis Janjetov, certainement la meilleure bande-dessinée qui ait jamais été faite, avec son fameux corollaire La Caste des Méta-Barons. Mais l’Incal, c’est d’abord le recyclage pur et simple de ce Dune, qui n’a jamais pu être tourné faute de financements. Le projet sera finalement confié à David Lynch avec tous les désastres que l’on sait. Mais on peut se laisser aller à imaginer ce qu’aurait pu être cette adaptation à la Jodorwski, hyper mystique, qui se voulait reproduire les effets du LSD sur l’audience, avec la musique des Pink Floyd et de Magma, Dali en empereur galactique, Mick Jagger en Feyd Rautha, Orson Welles en Baron Harkonnen et David Carradine en Duke Leto Atreides !
Le documentaire prend la forme d’une longue interview illustrée de Jodorwski et des contributeurs encore vivants au film, dont certains ont marqué par la suite l’histoire du cinéma. Je pense notamment à O’Bannon et H.R. Giger, qui ont fait rien de moins qu’Alien… Tout ça m’a fait penser à l’influence qu’a pu avoir Valérian et Laureline sur le science-fiction hollywoodienne. Tout le monde se dispute les influences sur Star Wars on dirait !
Pendant le tournage, Jordorowski a retrouvé son ancien producteur, le français Michel Seydoux, avec qui ils ont tourné par la suite « The Dance of Reality« , le premier film de Jodorowski en plusieurs décennies, et qui vaut vraiment le coup d’oeil si vous aimez son œuvre. C’est un film beaucoup plus abouti et accessible que ses films précédents (j’en reparlerai), qui évoque sa jeunesse au Chili. Brontis Jodorowski, le fils, qui aurait d’ailleurs dû incarner Paul Atreides dans Dune, joue ici le rôle de son propre grand-père.
Justement, à la lumière des autres réalisations de Jodorwski, on peut se demander ce que ce Dune aurait été si il avait été poussé jusqu’au bout. Jodorowski, en tant que cinéaste, est souvent qualifié d’auteur « culte ». Quand j’entends l’expression « film culte », mon traducteur à concept bobo-occidental me dit « attention danger !!! », à l’instar de certains mots tels que « traditionnel », « authentique » voire « culturel » sinon « pédagogique » – autant d’étiquettes dont il faut se méfier, à mon avis, une seule d’entre-elles – « politique » – les résumant bien toutes.
Sur la notion de « film culte »
Quand parle-t-on de « film culte » ? Au niveau personnel, on dira ça au sujet d’un film qui ne fait pas l’unanimité mais qu’on a quand même bien aimé, et pour lequel on connait un, sinon deux groupes de personnes (avec de vraies filles dedans) qui partagent le même sentiment, avec la bénédiction de l’autorité supérieure d’un quelconque critique de cinéma ayant pignon sur rue. Soit. On pourrait dire ça de beaucoup de films.
Mais le « film culte » a ceci d’avantageux qu’il permet de se rendre intéressant en d’affirmant une différence. Le « film culte » offre en effet quelque chose qui dérange, qui irrite. Celà peut être un grand nombre de défauts visibles, un fort sentiment de régression infantile, une « poésie » hermétique à la limite de l’incompréhensible, un engagement politique caricatural, une violence, une grossièreté particulièrement crue… Ranger le film dans la case confortable du « film culte » permet d’éclipser le problème et de le dépasser, au moins en apparence. On notera que la liberté d’expression est souvent bonne pour ceux qui n’ont rien à dire.
Du point de vue de la société de consommation, la notion de « film culte » est exploitée par les marchands pour nous refiler des daubes en pagaille. Ainsi, l’édition DVD de « Les Vécés étaient fermés de l’intérieur » affichait un bandeau en lettres d’or stipulant « le film culte que le monde entier nous envie ». Rien que ça ! Je veux bien que ce soit le premier coup d’essai de Patrice Leconte, célèbre auteur des Bronzés… et de Ridicule, mais n’ai pas pu regarder le film plus de 10 minutes, ce qui est rare car je suis bon public.
Idem pour « l’immense » The Rocky Horror Picture Show. Quand on dit « film culte », on pense forcément à celui-là, qui est projeté de façon rituelle dans certaines salles de cinéma sans discontinuer depuis plus de 40 ans ! Mais en ce qui me concerne, un quart d’heure, c’était déjà trop… et pourtant je suis un grand fan de Queen…
Bref, « film culte » n’est pas forcément synonyme de « film nul » mais se résume souvent à un film de série B un peu halluciné sorti dans les années 70, dans l’esprit des films de Terrry Gilliam, qui tiennent quand même le haut du pavé avec Brazil. A côté, les vieux films de Jodorowski, des Midnight Movies pratiquement inregardables, font quand même pâle figure. Mais ils sont bel et bien les produits d’une sous-culture avec un message philosophique et mystique fort.
L’idée du « film culte » est là : il contient un secret, partagé par un petit nombre de membres, et qu’il faut aller chercher par une initiation somme toute très accessible, celle du visionnage. Un auteur tel que Tarantino, dont je ne suis pas du tout fan (je n’ai jamais compris l’engouement initial pour Pulp Fiction), a bien su exploiter cette tendance, cette lame de fond cinématographique, en lui enlevant cependant sont aspect ouvertement mystique, bref, en l’occidentalisant et en le rendant commercial.Pour finir, je pense que Jodorwski’s Dune et The Dance of Reality sont deux films intéressants et aboutis, à voir conjointement, si vous aimez l’auteur, et ce même si vous avez été déçu par ses premiers films. Que la lumière soit !