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Suite de notre article sur la violence terroriste en se basant cette fois-ci sur sa réalité virtuelle au travers d’Assassin’s creed. Come-back dans l’an de grâce 2007 dans un jeu qui marqua bon nombre d’esprit, et finalement dont les interrogations demeurent.
Oui, je parle d’Assassin’s creed, premier du nom qui avait sidéré bon nombre de joueurs à l’époque par son background historique, l’originalité du jeu (et quelle modélisation bluffante des villes de la Terre sainte… je m’en souviens encore). Ubisoft avait avec originalité utilisé l’histoire à bon escient et sans maladresse (aujourd’hui je doute qu’un tel jeu puisse sortir) en plongeant le joueur dans les affres politiques et religieuses d’une terre en proie aux guerres, durant les croisades. Et combien se sont étonnés de cette histoire à base de meurtriers professionnels assassinant pour le compte d’un ordre mystérieux ayant existé, mais dont la fiction du jeu atténua les angles. Ce qui ne choque pas finalement, car l’auteur d’une œuvre de fiction demeure libre de son orientation (bien que certains ont du mal à le comprendre, comme nous le relations dans un précédent article sur Jean-Luc Mélenchon).
Assassin’s creed, petite lucarne sur l’islamisme radical sans le dire ?
Cependant, le jeu aborde cette confrérie religieuse schismatique dénommée Nizarites (et haschichiuns dans le jeu), liée à l’ismaélisme perse et par la même d’un chiisme proche d’une certaine lecture ésotérique de l’islam. Disposant d’un territoire aux confins de la Syrie et de l’Iran, cette communauté fondée au XIe siècle par Hassan-i Sabbâh, parfois surnommé « le Vieux de la Montagne », terrorisait l’empire abbasside, en procédant à des assassinats ciblés de fonctionnaires de l’empire (cf. l’assassinat du vizir Nizam al-Mulk en illustration de cet article), sans utiliser comme le veut la vulgate populaire de haschich (dont le terme « assassin » dériverait à tort de ce terme qui désigne de nos jours la résine de cannabis). Si Assassin’s Creed aborde cette secte politique, finalement le jeu se limite à utiliser comme fond narratif son recours à la violence en omettant son aspect religieux et son interprétation d’un texte sacré, le Coran, pour des raisons de censure bien pensante.
Si Assassin’s Creed se contente de puiser dans un fond historique des éléments pour son gameplay (verticalité et horizontalité du jeu, assassinat et fuite, collectionnite aiguë et exploration …), il est dommage que le jeu ne pousse pas plus loin la réflexion sur le recours à la folie religieuse devenant violence et bain de sang, en déplaçant le scénario sur une lutte cachée et séculaire entre Assassins et Templiers, alors que le temps des croisades est avant tout celui d’une confrontation certes politique, commerciale mais aussi et surtout religieuse. Face à cet arrière plan narratif qui mêle politique avec un soupçon de religiosité et d’histoire, on n’est pas étonné qu’Ubisoft stratégiquement prenne ses distances avec son œuvre.
Sa sortie, dans le prolongement des guerres d’Irak post 11 septembre, influencée par le fameux (et fumeux) « choc des civilisations » théorisé par Samuel Huntington, était certes audacieux. Le jeu se déroule alors dans ce moment clé que fut les croisades, choc douloureux entre Orient et Occident, dans la continuité du film de Ridley Scott, critique sous-jaccentes des interventions de Bush en Irak, Kingdom of Heaven en 2005 (film qui a sûrement influencé le jeu d’ailleurs).
Bien que l’on puisse regretter la retenue du jeu sur bon nombre d’aspects, le recours à cet arrière fond historique aborde quand même des thématiques peu développées dans le monde vidéoludique, et peut servir d’ouverture culturelle pour bon nombre de joueurs, ado comme adulte, luxe que seul permet le jeu vidéo en tant qu’outil narratif où le spectateur est aussi acteur, à la différence du cinéma ou de la lecture. Folie, questionnement sur l’impact et le rôle des assassinats que l’on demande au joueur, intégrisme, violence mêlée d’idéologie religieuse… tout cela conduit à une sacrée potion amère/sensible pour le joueur acteur de l’histoire d’Altaïr (« oiseau de proie » en arabe).
Membre fidèle du mouvement politique et mystique haschichiuns qui recourt à la violence sans hésitation, le jeu pousse les joueurs les plus curieux à se demander d’où provient cet ordre ayant existé et qui finalement semble proche d’autres mouvements imprégnés d’idéologie religieuse basée sur ces propres interprétations, comme le font ces tarés barbus de Daesch de nos jours en Syrie.
Petit retour sur les schismes intégristes dans l’islam
L’islam comme les autres religions a rapidement connu en son sein des schismes, des interprétations diverses et variées. Dans le cadre de ce monothéisme, ceux qui estiment être le plus proches des textes d’origine – et qui finalement en donnent une réinterprétation simpliste – trouvent leurs naissances dans l’une des 4 écoles juridiques Abbassides, l’école hanbalite (VIIIe siècle) fondée par Ibn Hanbal qui prône une application stricto sensu du Coran et des Hâdiths (propos éventuels de Mahomet et de ses proches, progressivement codifiées entre le VIIIe/ XIe siècle pour répondre à des situations non prises en compte dans le Coran). Et autant le dire, les réinterprétations comme chez les chrétiens ou les juifs sont légions quand il s’agit de textes religieux…. répondant à des impératifs politiques, sociétaux d’alors. Quoi de plus risible de de nos jours, de voir des personnes comme les salafistes (issu du terme « Salaf », ancien) ou les amish aux États-Unis voulant calquer des traditions réactionnaires dans un XXIe siècle à l’heure d’internet, de la mondialisation, du cosmopolitisme et du maelström titanesque des connaissances. Enfin, quand cela relève du choix personnel et que cela ne débouche pas sur une dérive autoritaire et violente envers les autres, pourquoi pas, chacun après tout est libre de croire ou de ne pas croire (liberté rappelée dans le Coran d’ailleurs).
Je ne m’étendrais pas sur d’autres penseurs intégristes qui ont émaillé l’histoire de l’islam, comme Ibn Taymiyyah au XIIIe siècle militarisant la notion de Jîhad qui demeure à la base un combat spirituel, ou Mohamed ibn Abelwahhab (allié à la dynastie des Saoud qui prit le pouvoir en Arabie Saoudite en 1924, et prônait l’obscurantisme envers la période préislamique). Ainsi, à chaque fois on est en face de « penseurs » réactionnaires qui utilisent les textes sacrés en souhaitant les calquer sur leurs sociétés sans tenir compte de ces dernières, dans une optique politique et en rejetant tout apport allogène…. refusant au passage l’un des principes clés de l’islam philosophique, la réflexion personnelle ou « ijihâd ». Si Dieu a créé l’homme avec la possibilité de raisonner, ne lui a-t-il pas donné la capacité de s’en servir ?
Finalement ces lectures biaisées ou « libres » de texte en les réinterprétant conduisent à une radicalisation maladive, proche d’une démarche totalitaire où l’individu est nié dans sa liberté et son être, avec la volonté de le dominer ou le détruire. A cela s’ajoute le culte de la force, de la mort, de la masse que l’on retrouve dans bon nombre de mouvements politiques reprenant au domaine religieux ses rites et endoctrinements pour finalement aboutir hier au nazisme ou au bolchevisme, aujourd’hui à l’islamisme radical et sans doute demain à une autre forme de radicalité (comme l’éco-terrorisme ?). Comme le disait à juste titre Nietzsche, le fanatisme est la seule forme de volonté qui puisse être insufflée au timide et au faible, ce que les mouvements totalitaires ont bien compris.
Cependant, je reste persuadé que ces phénomènes de terrorisme – bien qu’ils permettent à de nombreux états de supprimer des libertés ou de mater leurs propres populations, nous y reviendrons une prochaine fois – ne sont que désespoirs et sans lendemains. Ainsi, comme l’ont tentée la jeunesse radicalisée de l’extrême gauche ou droite des années 70, la voie vers la violence ne fut qu’une impasse logique de leurs idéaux, et ne contribua qu’à leur autodestruction, malheureusement émaillée du sang de trop nombreux d’innocents.

Attentat de Carlos, début des années 80, l’autre… pas le chanteur !
Ainsi, bien qu’athée je ne suis pas hostile à la croyance, en raison d’un choix qui doit demeurer à mes yeux personnel et respectueux d’autrui… mais si vous pensez que face à tant de haines et de morts, l’homme sans Dieu serait finalement meilleur… la solution à cette folie ne serait pas si difficile à trouver 😉
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La première partie de cet article se trouve ici.