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« The saga of Starcraft 2 has ended. Thanks for playing.«
Tel est désormais le message affiché sur mon écran de sélection de campagne. L’histoire de Starcraft, commencée en 1998, s’est achevée la semaine dernière avec la sortie du dernier opus de la trilogie Starcraft 2 : Legacy of the Void, vendu à plus d’un million d’exemplaires le jour même de sa sortie. Lamyfritz a testé pour vous la conclusion d’un monument du jeu vidéo en ligne. Sans spoilers.
Autant vous le dire, la campagne ne m’a pas résisté plus de trois jours, et encore, en bossant, et encore (pire), avec trois enfants dans les jambes. Mais du coup, ce fut un mal pour un bien, car j’ai joué en coopération avec mon ado de 15 ans, qui a lui-même déjà joué en multi à son petit niveau comme je le racontais il y a peu. Cette campagne, ça a donc été une affaire de famille à boucler : on alternait les missions l’un l’autre, avec le petit frère qui nous regardait jouer, réclamant les unités puissantes à corps et à cris, alors que la campagne ne débloque les unités sympas qu’au fur et à mesure pour faire apprendre à jouer.
Tout ça me laisse quand même une drôle d’impression : mon ado joue à ça à peu près au même âge que j’avais moi-même alors que je jouais à la campagne de Starcraft premier du nom à la fin des années 90, au moment où l’informatique et les réseaux connaissaient les débuts d’une grande mutation. J’entrais alors à l’université et fan de Warcraft 2, je m’étais précipité sur le dernier opus de Blizzard, qui avait été développé pendant près de 3 ans (une éternité, à l’époque) ! Raynor, Kerrigan et Zeratul étaient déjà là, ainsi que les bases désormais cultes de ce jeu tripartite à l’image des trois grandes religions monothéistes. Mais bref, nous n’allons pas nous appesantir en nostalgie. Passons directement au test du jeu.
UNBOXING DE LEGACY OF THE VOID
Bon ben ça va aller vite : y’a pas eu de boîte, car j’ai directement acheté une clé d’activation du jeu avec -30% le soir même de la sortie sur Instant Gaming. J’aurais vraiment préféré la version boite pour faire un unboxing en bonne et due forme, d’autant qu’il s’agit-là du tout premier jeu vidéo que je me paie depuis 2006. Mais j’habite en zone très rurale sans aucune certitude quant à la possibilité d’en trouver une, sans compter que je bosse tellement que ça aurait reporté le test à la semaine prochaine, au moins.
La dématérialisation peut-être frustrante or, quelque part, je suis tributaire du serveur Battlenet, avec ses mises à jour et l’obligation d’avoir une connexion pour jouer. Legacy of the Void est présenté comme étant en stand alone, mais pas tant que ça, finalement. Le jeu vidéo informatique – même en boîte – est entré dans une nouvelle ère, très critiquable, dixit Ocotpaddaone avec le dernier Fallout. Celà a commencé avec Half Life 2, un des derniers jeux que je me suis acheté d’ailleurs. Toute notion de pérennité est abolie : le fait que le jeu n’existe que parce qu’un serveur fonctionne – et non pas en tant que produit indépendant – légitime la dématérialisation à outrance. Mais bref.
APERÇU GLOBAL DE LEGACY OF THE VOID
Le design de l’interface a subi un lifting plutôt sympa, même si la figure d’Artanis pendant l’écran de chargement n’est pas ce qu’il y a de plus glamour. Ensuite, force est de constater que le jeu est désormais plus gourmand en ressources graphiques. Même avec tous les réglages au minimum, mon PC portable (sans carte 3D mais bon) acheté fin 2013 rame parfois assez douloureusement. J’avais déjà constaté celà dans le test du prologue, Whispers of Oblivion. Bon, au moins ça tourne, et il n’y pratiquement pas eu de freeze.
La musique du jeu est un point fort : celle-ci, épique à souhait, a été finement travaillée. On reconnait les thèmes des Protoss qui sont, je le rappelle, à l’honneur de cet opus, avec des reprises émouvantes des thèmes plus anciens. Certains passages rappellent la bande son d’Indiana Jones et la dernière Croisade. Car c’est bien de celà dont il s’agit: d’une croisade contre le mal.
Pour finir sur les généralités, la facture esthétique des cinématiques du jeu atteint un très haut niveau, l’action est trépidante, les graphismes fins, les personnages humains brillamment modélisés et les divers effets spéciaux de qualité.
LA CAMPAGNE DE LEGACY OF THE VOID
On attaque donc ici le mode solo, en bref, l’histoire ! Je ne vais pas vous gâcher le plaisir de la découvrir vous-même, donc je me concentrerai sur quelques points seulement. Artanis, le personnage avec qui vous allez vivre l’aventure, s’apprête à reconquérir le monde natal des Protoss, j’ai nommé Aiur, autrefois envahi par les Zergs. Mais la menace d’un Dieu maléfique, Amon, risque d’entraîner la fin de toute vie dans l’univers. C’est l’ultime bataille qui est sur le point de commencer !
L’histoire globale se tient du début à la fin sans casser des briques. On pourra ainsi reprocher le manque de surprises ou de revirements de situation : tout est cousu de fil blanc. Au niveau du jeu lui-même on ressent une forte linéarité car la campagne (19 missions + 3 missions d’épilogue) est très dirigiste : on a rarement le choix et chaque planète ouvre sur à peine deux missions. On ne ressent pas d’ouverture ni d’approfondissement, tout reste assez fermé et superficiel. En bref, on sent que les développeurs ont eu les yeux plus gros que le ventre.
Comme pressenti dans Whispers of Oblivion, les missions en elles-mêmes manquent cruellement d’originalité. Celles-ci sont presque toutes réductibles à trois grands types : infiltration en groupe réduit, protection en masse d’un lieu clef, ou destruction stratégique de plusieurs cibles. Les décors sont assez répétitifs, et les objectifs rarement novateurs, à l’exception d’un niveau où l’on peut diriger une plateforme. J’espérais qu’il y ait au moins une vraie mission de bataille spatiale… ! Au fond, tout ça fait bien trop souvent penser à Wings of Liberty, mais en moins bien.
De même, le vaisseau amiral, la Lance d’Adun, même s’il est beau, fait pâle figure à côté de l’Hypérion de Wings of Liberty. En revanche, la possibilité de customiser son armée et ses coups spéciaux est très sympathique du fait que les choix du joueur ne soient pas figés, ce dernier pouvant à tout moment remettre tout à plat et refaire sa composition selon ses envies ou ses besoins.
La campagne est bien trop orientée sur les Protoss et reprend toutes les bases de cette race, ce qui est frustrant quand on les utilise déjà en multijoueur depuis des années. Les Terrans et Zergs sont plutôt absents et ne sont commandables directement que dans les missions finales, qui sont assez difficiles, surtout lorsqu’on a pas (ou plus) l’habitude : on s’emmêle les pinceaux. Celà permet du reste de comprendre que les Protoss sont la race la plus facile à maîtriser, et pousse les joueurs dans leurs bras. La campagne en rajoute une sacrée couche, car les unités proposées en extras sont extrêmement puissantes. Celà prépare finalement plutôt mal au jeu en ligne, où il faut faire beaucoup avec très peu…
Pour en revenir à l’esprit général de cette campagne, on pourra parfois reprocher ces moments épiques et lyriques un peu trop forcés. Le niveau de langage des Protoss est extrêmement châtié (et celà fait du bien) mais leur véhémence peut être fatigante, et leur espèce de revendication d’unité dans la différence par delà les clivages un peu naïve et cucul. Cependant, les références méta-culturelles et cinématographiques abondent, et s’amuser à les repérer devient un jeu en soi : un jeu dans le jeu. Ainsi, on ne pourra pas passer à côté du manichéisme côté lumineux / côté obscur de Star Wars, avec le personnage d’Alarak rappelant furieusement Darth Vader sans son masque. Mais de nombreux détails donnent le change : les tentacules du phase smith à la Dr. Octopus, le monolithe d’Ulmar à la Kubrick, les piles de zélotes alimentant la lance d’Adun à la Matrix, la réplique numérique de Fenix à la Ghost in the Shell, les frappes orbitales à la Akira, la tronche d’Amon à la Cthulhu… Bref, c’est de la soupe, il y a à boire et à manger.
Sans tout vous dévoiler j’ai bien apprécié les messages philosophiques profonds et qui font écho à l’actualité dramatique des attentats de Paris de ce weekend. Dans Legacy of the Void (en français : « l’héritage du vide ») la vision de la divinité est replacée dans un contexte concret et non-magique. Du vide, qui est abstraction et toute puissance, on tire un héritage, quelque chose de tangible, qui se transmet : les dieux Xel’Naga sont tout simplement les ancêtres, les peuples précédents, qui ont crée les peuples suivants. Cette croyance existait déjà chez les celtes, avec l’exemple des Tuatha de Danaan (qui ont d’ailleurs inspiré les elfes de Tolkien) dans The Book of Conquests. Le culte de l’invisible et de l’irrationnel fait place à un culte bien concret des ancêtres et d’une création divine qui peut se résumer à de la simple procréation.
Mais enfin, et surtout, on ressent à plusieurs reprises ce constant appel au salut dans l’apostasie, au renoncement à des valeurs religieuses auto-destructrices sous couvert de quête de purification, voire d’épuration. La scène où tous les Protoss se tranchent volontairement leurs espèces de cheveux est en ce sens très significative : c’est le prix de leur liberté, et c’est aussi le message final de Kerrigan, adressé à l’ancien Dieu auquel elle s’oppose. En plus, on voit ses fesses sans aucune forme de censure pendant une bonne demi-heure. Sympa non ? Il est donc temps de remplacer Dieu par l’homme, qui en a largement dépassé les pouvoirs – c’est ce que dit en substance le philosophe musulman Abdennour Bidar : les religions doivent être comprises car elles seules peuvent aider à conduire à leur propre fin. Nous en reparlerons dans un autre dossier.
LE JEU EN LIGNE DANS LEGACY OF THE VOID
Il va de soi que Starcraft 2 n’a véritablement d’intérêt que pour le jeu en ligne, et c’est d’autant plus vrai avec Legacy of the Void, qui sera désormais la plateforme de référence, enterrant définitivement les addons précédents. Après seulement une semaine de sortie, et n’ayant pas préalablement testé la béta, il me paraît difficile de faire un compte rendu complet du mode multijoueur, qui va grandement évoluer au fil des mois et des compétitions de professionnels. Les équilibrages entre unités et de classement en ligue ne pourront donc pas être objectivement abordés ici. De plus, je n’ai pas pu tester le mode archonte ou les missions coop, qui me semblent plus relever du gadget qu’autre chose. Je me contenterai donc de donner mes toutes premières impressions sur les matchs classiques, en promettant d’y revenir une fois que je me serais bien fait latter sur le ladder.
Les nouvelles unités du mode multijoueur sont inédites, dans le sens où elles n’étaient même pas présentes dans la campagne solo de Legacy of the Void. On pouvait espérer compter sur cette dernière pour apprendre à les manœuvrer mais il va juste falloir jouer en ligne encore et encore pour s’y faire. L’arsenal dans chaque race commence à être très conséquent, les choix stratégiques étant assez limités en multijoueur, celà promet des essais de compositions d’armées assez improbables et beaucoup de complexité, surtout en ce qui concerne la micro-gestion : les joueurs maîtrisant cette dernière sont clairement avantagés.
Les anciennes unités ont été boostées : les haut templiers peuvent tirer, les tanks peuvent être transportés directement en mode siège, les battlecruiser peuvent se téléporter… il y a aussi quelques nouvelles unités intéressantes qui promettent beaucoup. Le Liberator Terran (dédicace à Objectif Nul !), qui semblait au départ assez limité, s’avère être finalement plutôt accessible et redore un peu leur blason. Les Protoss semblent malgré tout toujours aussi balèzes, ne serait-ce qu’à cause de la disponibilité permanente de leurs probes et des warps d’unités, qui ne subit toujours aucune contrepartie tactique.
Le point très fort du multijoueur est que désormais, les bases démarrent avec beaucoup plus d’ouvriers. Celà a des conséquences très positives sur le déroulement de la partie :
– l’économie monte plus vite, on peut donc bâtir et produire vite
– il n’y a pas de gros temps mort chiant pendant les 3 premières minutes
– on peut faire de vrais choix stratégiques (bâtiments ou unités ?) et pas se figer sur une routine.
– les gisements sont vite saturés (trop vite peut-être ?) et celà encourage à faire des expansions.
Le revers de la médaille est prévisible : à haut niveau, on va tomber sur des joueurs extrêmement audacieux qui vont nous en faire baver, et nous pousser dans des routines pour potentiellement contrer les all-in… mais il me tarde de jouer davantage pour vous en dire plus.