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Encore un long dossier pour l’été… où l’on va même parler de concepts alchimiques ! Nous voici cette fois avec deux longs-métrages de la Toei Animation à destination des trentenaires et quadragénaires. Pas très appréciés des critiques, les films Saint Seiya : la Légende du Sanctuaire et Albator, Corsaire de l’Espace ont fortement divisé les fans. Voici le modeste avis d’un père de famille et fan (repenti) de la première heure… et qui a bien apprécié les deux.
Attention, quelques spoilers pas trop méchants dans cet article… Bref, vous êtes prévenus !
Vous savez déjà qu’Albator et Saint Seiya (alias les Chevaliers du Zodiaque) sont originellement des séries animées qui sont sorties dans les années 80, aux codes narratifs et esthétiques bien ancrés dans leur époque. Aussi, reprendre ces séries plus de 20 ans après ne pouvait pas passer au travers de la polémique. Les réalisateurs se savaient attendus au tournant, ils savaient qu’ils allaient heurter les sensibilités, poussant parfois même jusqu’au « foutu pour foutu » : la scène de ballet de Deathmask, complètement en décalage avec l’esprit général et les attentes du spectateur en est une preuve flagrante. De même, la terre dévastée dans le film d’Albator… qui s’y attendait, franchement ?
Aussi, papa-gamers, il va falloir vous faire votre propre avis et, j’espère que vous l’aurez compris, il différera forcément du mien. Mais seulement, n’oubliez pas qu’en tant que spectateur responsable, il n’est pas toujours facile de se replonger dans ces univers quand on en est sortis depuis des années, ou quand on n’a pas aimé les séries parallèles comme Episode G, Lost Canvas ou Omega : la tendance à retourner à l’ancien moule est régressive, voire infantilisatrice, on est donc plus sévère avec soi-même parce qu’on en est pleinement conscients. Surtout qu’on ne peut pas ignorer tout le potentiel commercial de la chose… et intellectuellement, on ne veut pas tomber dans le « c’était mieux avant » qui nous a parfois dupés – dixit le Joueur du Grenier !
Alors quels choix d’adaptation intéressants ont-ils été faits ? Quels sont les écueils de ces remakes ? Et surtout, que restera-t-il de tout cela, qui sera transmis à la génération du dessous ?
Autant vous le dire tout de suite : chez mes deux garçons, le plus petit (5 ans) a adoré Albator et le plus grand (14 ans) a adoré Saint Seiya. Je pense que ça a été grosso modo la même chose pour moi : j’ai admiré cette image symbolique de père de famille avec Albator en tant que petit enfant et j’ai plébiscité cette image d’une bande potes jeune, fringante, disparate mais unie face à l’adversité en tant qu’adolescent avec Saint Seiya. Donc, quelque part, ça veut dire que la sauce a pris pour la nouvelle génération. Bien joué.
Alors quid de ces adaptations ? Il me semble qu’une des clés de lecture des films est le temps, en tant qu’élixir primordial. Pas étonnant que le héros, Seiya, insiste sur le temps (très court) qu’il va mettre à battre son premier adversaire – la mise en abyme d’un temps nécessairement accéléré est ici très intéressante. Cette prouesse sera d’ailleurs mise en échec dès l’arrivée du chevalier d’or du Lion, dont le déplacement à la vitesse de la lumière, excellemment rendu, ne lui laissera même pas le temps d’invoquer son armure !
Par définition, l’univers de la série animée est long, redondant, et laisse le temps de développer des personnages auxquels on peut s’attacher. On y retrouve les mêmes génériques, les thèmes musicaux, les attaques spéciales, ces grands moments de catharsis qu’on attendait parfois jusqu’à la fin de l’épisode. La série A Game of Thrones, dont j’ai déjà parlé, est en ce sens une réussite, puisqu’elle réduit des livres de 1500 pages en 10 épisodes d’une heure chacun qui cartonnent au box-office. Lenteur, suspense, attentes et conjectures sont bien rendus vis-à-vis du spectateur, mais de façon incomplète si l’on s’en réfère, en tant que lecteur, à l’œuvre originale. En ce qui concerne Saint Seiya et Albator, la dynamique d’adaptation entre la série originale et le remake est de même nature. Un spectateur qui connait les univers de base ne les percevra pas de la même façon qu’un non-initié. C’est pour cela que j’ai beaucoup aimé ces remakes : parce qu’ils me parlaient un langage que je connaissais, que j’avais certaines attentes, et que j’étais conscient que certaines de mes attentes ne pourraient qu’être déçues.
Or, le temps, en tant qu’élixir primordial, c’est aussi le temps de l’attente : un arbre ne pousse pas en un jour. Un ado ne devient pas bilingue ou Einstein juste en lisant la Wikipédia (un fantasme de nos hommes politiques, qui s’évertuent à casser le système scolaire). De même, les réalisateurs de Saint Seiya et Albator ne peuvent pas transmettre l’essence de ces bonnes vieilles séries animées en moins de deux heures. Ce temps de l’attente, frustrant mais formateur, je l’ai vécu quand j’étais gamin en regardant ces séries jour après jour, ce qui m’en a donné une certaine image, à laquelle je me suis attachée. Les grandes valeurs puissantes qui faisaient le sel de ces séries comme l’amitié, la fraternité, la persévérance, la quête personnelle d’une force intérieure dans Saint Seiya ou bien la transmutation d’une faiblesse en force, d’une peine en espoir, les tourments nés entre la confiance et la défiance envers le genre humain chez Albator : j’étais déjà riche et fort de tout cela bien avant de voir ces remakes.
Il est manifeste que les films de Saint Seiya et Albator n’arrivent pas à transmettre ces grandes valeurs humaines inspirées par les séries originales. Mais quoi de plus normal ? L’esprit de fraternité entre les chevaliers d’Athéna ou la solidarité entre les membres de l’équipage de l’Arcadia ne peuvent pas se construire sur une durée aussi courte. Au moins, les réalisateurs n’auront pas fait l’erreur de recentrer à tout prix leur scénario autour d’une thématisation cucul des valeurs humaines, un écueil qu’on retrouve par exemple dans les films de Naruto, à la fois spin-offs et fillers déplorables dans lesquels le scénario est toujours un prétexte pour que le héros puisse prouver, une fois de plus, a) qu’il n’abandonnera jamais b) qu’il sauvera ses amis au péril de sa vie c) qu’il fera tout pour réaliser son rêve de devenir Hokage… Ainsi, à mes yeux d’initié et de fan de la première heure, les films d’Albator et Saint Seiya sont une plus-value à l’univers de base mais qui ne s’encombrent pas de la volonté de s’y substituer. C’est une cerise… sans le gâteau. Mais la cerise est bonne.
Dans les remakes, faute de ce temps si précieux dont bénéficient les séries, on assiste à des condensés spectaculaires et, hélas, à des coupes sombres scénaristiques. Les grosses ficelles sont encore plus grosses que dans la série : les réalisateurs ont tout simplement choisi de mettre en scène certains moments forts de l’univers original et de tout relier tant bien que mal à la manière d’un Frankenstein japonais. Mais à mes yeux de papa-gamer, ces deux films ont l’énorme avantage de faire (re)découvrir ces personnages mythiques – Albator, Yattaran, Seiya, Shiryu, Hyoga et consorts – en famille, avec des enfants, car l’accès aux univers sériels originaux leur est, mine de rien, difficile.
C’est qu’à la différence d’aujourd’hui, les séries comme Albator ou Saint Seiya racontaient une histoire qui s’étalait sur plusieurs épisodes. Il y avait bien quelques fillers, mais c’est sans commune mesure avec les dessins animés récents qui, à quelques exceptions près, n’ont plus aucun schéma narratif et se déroulent sur un seul épisode dans une ambiance survoltée. Je ne vous apprends rien en disant que notre société de l’instantané a banni la notion d’attente. Mais attention : certaines séries des années 80 étaient déjà structurées de la même manière (par exemple, les Tortues Ninja) ou étaient des gros coups commerciaux destinés à vendre des jouets (voir l’excellente vidéo du Joueur du Grenier sur le sujet) ! Mais la tendance a été gravement généralisée et je le ressens directement dans mon foyer : mes enfants se désintéressent très vite des dessins animés de longue haleine. Les cerveaux des jeunes sont imperméables à tout ce qui mobilise l’attention plus d’un quart d’heure.
Par ailleurs, d’un point de vue esthétique, impossible de les faire entrer facilement dans une série animée rétro. Et je ne vous parle même pas des doublages très discutables en français dans les années 80, qui constituent un obstacle esthétique supplémentaire. Ainsi, pour les jeunes gavés de 3D et de polygones, les images plus anciennes paraissent trop vieillottes, criardes, voire risibles – pas toujours faux, et j’en veux pour preuve le combat de Hyoga contre le chevalier d’or du Scorpion, étrangement réalisé dans la série animée originale. C’est ainsi : tous les défauts et les incohérences ressortent atrocement. Du coup, ces remakes de Saint Seiya et d’Albator réalisés par ordinateur sont quelque part les bienvenus, parce que leur qualité graphique a été poussée très loin (même les détracteurs l’admettent) et parce qu’ils créent le lien pour les jeunes d’aujourd’hui. C’est regrettable, mais de nos jours, même Heidi et Franklin se sont « polygonisés » : ce lissage en règle de l’image, typiquement occidental, fait partie d’un lissage global de la société. Mais tout cela est une autre histoire.
Voie sèche et voie humide : de la série au film, et non l’inverse ?
En Alchimie, il existe deux voies de transmutation : la voie sèche et la voie humide. En tarologie, elles sont respectivement symbolisées par le pendu (arcane XII) et l’ermite (arcane VIIII). La voie sèche est courte mais difficile, voire impossible à réaliser (symboliquement, c’est celle de l’initiation mystique, par le verbe et par la foi), tandis que la voie humide et longue mais davantage plébiscitée (c’est celle de l’expérimentation, par l’action et l’étude). L’une et l’autre sont évidemment complémentaires, sans toutefois se valoir. Ainsi je pense que les films et les séries animées de Saint Seiya et Albator ont une forme de complémentarité. Quelque part, la voie humide, c’est de s’être tapé les 73 épisodes de Saint Seiya, avec les mangas en prime (parce que la série animée, adapté du manga de Masami Kurumada, a elle-même ses écueils). Et la voie sèche, c’est le remake, c’est s’en prendre plein les yeux en moins de deux heures de feu d’artifice, en pure acceptation de la chose. Attaquer par la voie sèche, comme mes enfants l’ont fait, est voué à l’échec sans le recul et les explications que je pouvais leur apporter pendant et après le visionnage. Mais de mon point de vue, à mon petit niveau de trentenaire déjà initié à ces univers depuis longtemps, ça m’a apporté une expérience d’unique, limite métaphysique.
Symboliquement, j’ai déjà beaucoup parlé des transitions entre livres et films ou séries, où l’on perd toujours quelque chose d’important au passage : ces adaptations sont, en quelque sorte, des transmutations. Autant je n’ai pas aimé les adaptations de Tolkien, autant il est manifeste que les séries animées d’Albator et de Saint Seiya, à l’époque de leur sortie, ont apporté quelque chose de crucial au manga papier, malgré leurs incohérences notoires. Je pense que les mangas papier n’aurait pas pu traverser le temps et l’espace sous cette forme, paradoxalement plus tangible, parce qu’Albator en manga n’a jamais été fini, rattrapé par la série, qui d’ailleurs ne s’est jamais soucié des incohérences (Albator, c’est Albator et puis c’est tout) et le Saint Seiya original de Kurumada a toujours été graphiquement trop faible pour perdurer. La pérennité est donc passée par l’audiovisuel, parfois de façon excessive, car les animes japonais brodent énormément sur le manga papier : une page, voire quelques cases, donnent parfois un seul épisode de 20 minutes, flashbacks non compris – tout l’inverse d’un Game of Thrones, qui lui aussi passera à la postérité grâce à la télé. Mais bref, être conscient de tous ces processus de passage et de transmutation est une vraie richesse en soi, et ces réalisateurs de ces remakes l’ont bien compris, et clairement assumé.
Concrètement, tout comme dans les excellents films de Dreamworks, il existe plusieurs niveaux de lecture des remakes de Saint Seiya et d’Albator, destinés à la fois aux parents et aux enfants. Ces derniers sont ainsi faits pour une génération geek qui peut en comprendre les nombreux clins d’œil. Dans Saint Seiya, par exemple, l’esthétique générale du sanctuaire et l’image finale d’Athéna et Seiya tirant la flèche d’or est un hommage immanquable à The Legend of Zelda.
Points faibles et points forts
Pour terminer, je vais ici me faire le plaisir de détailler plusieurs points positifs et négatifs quant aux choix d’adaptation, pour les deux films. A lire uniquement si vous avez déjà vu les films : ne vous gâchez pas le plaisir de faire votre propre avis !
A) Pour Albator, les points faibles :
Le scénario n’est pas toujours très clair et plutôt tiré par les cheveux, voire incohérent par moments. Par exemple, la réaction de Kei Yuki après que Yama ait essayé de la tuer est incompréhensible. On a parfois l’impression que les scénaristes se foutent de nous parce qu’ils se sont dits : « c’est Albator, donc tous les vieux cons vont aller voir, on ne va pas se fouler, ils vont forcément aimer parce que… hé bien parce qu’Albator, quoi » ! . Mais c’est justement ça, l’esprit d’Albator : une série sans cesse inachevée où seul le héros compte, comme dans les vieilles légendes japonaises, avec Yoshitsune et consorts. Bon, sinon, Esra, le frère de Yama, qui se pose en ennemi d’Albator n°1, est un maigre substitut au professeur Zon de la série de 1984, et n’arrive pas à sa cheville.
B) Pour Albator, les points forts :
Albator a beaucoup de classe, on retrouve bel et bien notre héros d’enfance. Ses sbires sont également très sympas, avec une mention spéciale pour Yattaran, ainsi que les armures de combat utilisées par l’équipage. La duplicité de Yama ajoute de l’intérêt par rapport à l’œuvre originale. De même, au niveau du scénario, le plan original d’Albator, qui est de remonter dans le temps, est voué à l’échec : cela déçoit beaucoup les attentes des spectateurs, à l’instar de la destruction antérieure de la terre. Est-ce un appel indirect au spectateur à lâcher son modèle, à grandir, bref : un appel à la fin de l’enfance ? Enfin, techniquement, les scènes spatiales sont bien foutues, ça pète, c’est très beau.
C) Pour Saint Seiya, les points faibles :
Les coupes sombres scénaristiques sont terribles : aucune image de l’entraînement des chevaliers de bronze… Ca aurait bien mérité une demi-heure supplémentaire. Du coup, les coups d’éclat des chevaliers de bronze sont somme toute assez anecdotiques. De même, pendant la bataille du sanctuaire, il manque des maisons et surtout l’armure de la balance ! Quelques moments forts absents : l’ultime dragon, le cercueil de glace… Alors à quand une version longue ? Sinon, j’ai moyennement apprécié le côté « Iron Man » des armures, qui ont un casque intégral pendant les attaques mais, bah, ça passe quand même. L’humour est heureusement présent, mais mal dosé et à l’inverse, le chevalier d’or du Cancer manque de noirceur, car trop volontairement « WTF ». Pour finir, le personnage de Saga est raté malgré sa belle armure. Dans la série, il s’agissait de mon personnage favori. Dans le film, il n’est pas si charismatique ni tourmenté par ses deux personnalités, et son ultime transformation frise le ridicule. Les 15 dernières minutes du film sont alors fatigantes, bourrées d’explosions, d’effets spéciaux, et de phrases ineptes (ah, les nanards des années 80 !) avec un speech final de Saori cucul, qui laisse un arrière-goût général désagréable.
D) Pour Saint Seiya, les points forts :
Le scénario est bien concentré : l’action est menée de front sur différents lieux et les réalisateurs ont montré qu’adapter une série longue en moins de deux heures était possible. Seiya et les autres ne ressuscitent pas vingt fois, ils n’ont pas des flashbacks toutes les dix minutes, ils n’ont pas trente-six épreuves de force ultime, et il n’y a pas d’incohérence majeure : tout se tient. Également, les chevaliers d’or jouent un rôle ambivalent et ne sont pas que des obstacles, ni tous dupes du Grand Pope. Leur rôle est essentiel, ils évoluent bien, et taclent le traditionnel Deux-Ex-Machina des héros. Saori est également moins passive car le scénario lui permet d’intervenir directement. L’idée que le Grand Pope lui vole sa force plutôt que de vouloir l’éliminer est un bon point, même si j’aimais bien la dynamique de la flèche d’or et des 12 heures de la série. Du reste, le personnage de Saori Kido est très réussi : les réalisateurs ont bien compris que son rôle était central dans le cœur des spectateurs trentenaires. On ne touche pas à une icône sans heurts ! Et puis généralement, la cure de rajeunissement et de remise à la mode des chevaliers d’or est la bienvenue, avec Deathmask en Jack Saprrow, Aldébaran en bon vivant et Milo en belle jeune femme. Certains moments forts de la bataille du sanctuaire sont bien retranscrits : la corne du taureau, l’exécution de l’aurore, le monde des morts, l’illusion satanique…Pour couronner le tout, c’est esthétiquement irréprochable, et l’idée d’un sanctuaire irréel et métaphysique est intéressante. Enfin, les musiques rendent bien hommage à la série originale.
Et nos paddles dans tout ça ?
Pour finir cet article, un petit lien vers un jeu PC sur Saint Seiya Ultimate Cosmo, un beat-them-all en 2D à l’ancienne, façon Street Fighter, développé depuis des années par deux français, qu’il ne faut pas hésiter à encourager : cliquez ici pour y accéder. Allez-y, c’est gratuit et assez bluffant, si l’on considère les images et les vidéos… Comme pour le film, n’en attendez pas trop non-plus, mais dites-vous bien qu’on en avait tous rêvé et qu’ils l’ont fait.
Aucun jeu digne de ce nom sur Albator n’existe, mais il parait qu’un jeu appelé Skies Of Arcadia sur Dreamcast ou Game Cube y fait grandement référence.