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Naoki Urazawa X Osamu Tezuka. Voilà ce qui m’a accroché quand j’ai vu la couverture de ce manga. PLUTO… Hum cela m’intrigue … voyons un peu le pitch !
Le très puissant robot Mont-Blanc a été détruit sans que l’on sache par qui ou par quoi. Au même moment, un des cadres du groupe de défense des robots est assassiné… Deux affaires sans relation apparente… ? Pourtant sur les lieux du crime, c’est le même ornement en forme de cornes qui a été retrouvé. Le meurtrier est-il un homme ou un robot ? Selon les lois robotiques, c’est impossible, car les robots ne peuvent s’attaquer aux hommes. Gesicht, l’inspecteur robot est chargé de l’enquête, et ne va pas tarder à découvrir l’objectif du meurtrier… .
Les thèmes abordés me font penser aux romans d’Isaac Asimov sur les robots :
Ceux-ci ont d’ailleurs servi de base à pas mal de films, comme I-ROBOT ou A.I. de Spielberg.
Sur la papier le sujet m’intéressait au plus au point, mais je ne voyais pas bien le lien avec Tezuka. Après des recherches sur le net, je fus touché par la grâce : Pluto est la libre adaptation d’ASTRO de Tezuka ! Oui Astro, tout le monde se souvient du personnage créé par Tezuka, le dessin animé ayant bercé notre enfance… enfin pour les plus vieux. D’ailleurs petit clin d’œil pour ceux qui sont allés au Japon, une magnifique statue d’Astro vous accueille à l’entrée de la gare de KYOTO.
Sans détour, Pluto est mon manga favori !! Un chef-d’oeuvre absolu, que le père de Monster et 20 th century boys n’a pas eu peur de mettre à jour – j’y reviendrais plus loin – mais évoquons d’abord la passionnante genèse du projet de remake.
Il était une fois un remake…
Tezuka étant considéré comme le dieu du manga, il fallait du courage et des autorisations de la famille Tezuka, pour adapter librement ce manga.

Frenchie style, le dieu du manga : Osamu Tezuka
D’ailleurs les mots de Naomi Urasawa sont limpides :
« Astro Boy est l’œuvre de feu Osamu Tezuka, dessinateur pour lequel j’ai le plus grand respect. Le manga a commencé dans les année 50 et aujourd’hui encore, il continue d’être lu par de nombreux lecteurs. C’est une œuvre incontournable dans l’histoire du manga japonais ».
Takashi Nagasaki, producteur renchéri :
« Sans Osamu Tezuka, le manga n’existerait pas. Il est le Léonard De Vinci, le Goethe, le Dostoïevski du manga. Naoki Urasawa et moi avons toujours pensé qu’il ne fallait pas laisser se désagréger cet héritage. C’est pourquoi, en 2003, année anniversaire de la naissance officielle d’Astro, nous nous sommes engagés dans un remake de l’histoire Le robot le plus fort du monde. Qui était Tezuka ? Que voulait-il transmettre » ?
Le projet débute le 7 avril 2003. Écrit et dessiné par Tezuka 50 ans auparavant, c’est à cette date que voyait le jour Astro dans le manga. Tezuka Production INC a travaillé à la réalisation d’une nouvelle série TV, et de différents événements. À cette occasion, la société a reçu la visite de Naomi Urasawa et de Takashi Nagasaki. Ils annoncèrent leur intention de faire un remake d’Astro Boy, mais avec un personnage principal différent; l’inspecteur allemand Gesicht. Sans tarder, ils reçurent l’aval du fils ainé de Tezuka, Macoto. Non seulement il leur donna spontanément son accord, mais souhaita participer au projet en tant que superviseur.

Macoto Tezuka
Macoto Tezuka se souvient :
« C’était à l’hiver 2002. On était venu me dire que Naoki Urasawa avait envie de réinterpréter le chapitre D’astro Boy, intitulé « le robot le plus fort du monde ». J’ai d’abord été déçu. Pourquoi refaire un manga à partir d’un classique, dessiné par un auteur à succès ? Personnellement, je ne veux pas que les œuvres de mon père soient traitées comme d’objets précieux. Mon désir est qu’elles traversent le temps, passant de main en main, touchant le plus de personnes possibles ! En d’autres termes, en tant que descendant de l’auteur, j’ai d’abord refusé poliment. Et si les auteurs de ce projet y renonçaient en estimant avoir raté le bon moment, tant pis, il en serait ainsi. Mais Monsieur Urasawa ne renonça pas. Il demanda à me rencontrer pour m’expliquer le contenu, ma manière de l’exprimer et me montrer quelques croquis. J’ai finalement accepté cette rencontre. «
La rencontre a eu lieu le 29 mars 2003 à Ginza. La discussion s’est terminée tard dans la nuit. Urasawa raconte alors à Macoto Tezuka que le premier manga qu’il avait lu et qui l’avait touché était Astro Boy. Et que cette œuvre était à l’origine de ses propres créations. (Si vous connaissez l’œuvre de Urasawa, vous ne pouvez qu’acquiescer).
Devant tant de passion et de motivation, Macoto imposa juste une seule condition : que cette nouvelle oeuvre soit dessinée dans le style de Urasawa. Macoto se souvient que les croquis présentés par Urasawa ce jour-là étaient trop proches de l’oeuvre originale. Urasawa avait sans doute éprouvé une certaine gêne en les réalisant. Macoto demande donc à Urasawa de revoir sa copie. Dans le feu de la conversation, l’alcool aidant, Macoto provoque même Urasawa, en disant que beaucoup ont réalisé des dessins en hommage au maître, mais personne ne l’a véritablement défié. Alors en tant que juge, il lui dit d’y aller franchement, sans retenue.

Tezuka X Urasawa
C’est à ce moment-là qu’ont du commencer les tourments de Urasawa. 😉
Mais pourquoi PLUTO est-il intéressant ?
En lisant PLUTO, on peut se rendre compte du regard que porte Urasawa sur Tezuka. Outre l’hommage à ASTRO, plusieurs passages du manga évoquent d’autres épisodes comme « le chat rouge », « Frankenstein », Robotting »… mais également aussi des allusions à « Black Jack », le « Roi Léo », et « Phénix ». On a l’impression de trouver des traces de toute l’œuvre de Tezuka dans PLUTO.
Par ailleurs, dans le tome 4, le professeur Tenma explique au professeur Ochanomizu, qu’Astro était un échec, un robot raté. Clin d’oeil à Tezuka qui considérait Astro comme son plus gros échec ! Il disait même qu’il l’avait créé pour se faire connaitre et gagner de l’argent. Urasawa pensait sûrement le contraire, et a donc réussi grâce cette œuvre magistrale, à défier le maître !
Pour revenir à mon opinion sur ce chef d’œuvre, aucun manga ne m’avait provoqué de pareilles émotions. Humanisme, sens de la vie, questions existentielles… pourquoi se battre, quelle place de l’homme dans l’histoire ? Urasawa soulève beaucoup de questions sur la moralité humaine, mais également sur les machines. Un robot peut-il avoir des émotions ? Que se passe-t-il quand la création échappe à son créateur ? Beaucoup de liens avec notre histoire passée, mais aussi actuelle…
Alors quel bilan ?
Pas de spoil ici : l’histoire se déroule sur 8 tomes, tous plus passionnants les uns que les autres. Le ton est résolument adulte, noir et triste par moment. Le tour de force est surtout dans le traitement des personnages. Uraswa a apporté une touche bien personnelle a ses personnages. Graphiquement d’abord, mais aussi dans leurs motivations, leurs émotions. Astro tout comme Spiderman ou autre superhéros est confronté à ses propres responsabilités. Et le fait qu’il a les traits d’un enfant nous permet de mesurer la difficile transition de l’innocence vers le monde adulte. Un Robot est programmé pour une chose sans forcément comprendre le monde qui l’entoure. Il est ce que le créateur souhaite qu’il soit. Pas de libre arbitre, impossible de développer sa propre personnalité. Difficile de ne pas voir le lien avec nous-mêmes, tous formatés par notre société de consommation. Nous sommes comme le monde veut que l’on soit. Astro découvrira grâce à ses facultés à comprendre les émotions humaines. Mais aussi celles des robots : Astro le robot le plus émotionnel et classe du monde. Ne passez pas à côté de PLUTO, même Maitre TEZUKA serait fier du résultat !!
Sources : Wikipedia et postfaces des mangas PLUTO