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La chaîne C: (lire “Cé deux points”) fut diffusée de 1996 à 1998 sur le bouquet Canalsatellite. Si, si ! Souvenez-vous papa gamers, c’était l’époque de Canal plus bleu et jaune, où Jules Edouard Moustic animait encore l’émission CANAL International, l’ancêtre de Groland, dans l’émission Nulle Part Ailleurs. Tout un univers…
C: fut ainsi la toute première chaîne française consacrée aux jeux vidéo, à l’informatique et à la culture geek. On parlait alors davantage de culture “cyber” et de cyberespace, deux expressions aujourd’hui complètement galvaudées. Malgré ce précédent remarquable, il est difficile de retrouver des traces de cette chaîne, à l’ambiance étrange et décalée, ne serait-ce qu’à cause de son nom peu ordinaire. D’ailleurs, s’agissait-il d’une chaîne à proprement parler ? Les souvenirs des spectateurs sont parfois confus sur les contenus qu’elle proposait.
Comme vous êtes supposés le savoir, C: représente à la base une lettre de lecteur, pour être précis, la lettre générique du disque dur d’un ordinateur. A: et B: désignaient alors les bons vieux lecteurs de disquettes, et D: les lecteurs optiques, encore en service de nos jours. Avec cette chaîne, on entrait donc directement dans la vie de l’utilisateur avancé d’un PC. Au niveau informatique, c’était l’époque des Pentium II… ! Et au niveau de l’esthétique de la chaîne, on avait l’impression de nager en plein MS-DOS… Nombreux écrans noirs minimalistes, ou au contraire couleurs psychédéliques sur fond de musique techno, rappelant les Demoscenes sur Amstrad CPC ou sur Atari ST. Grâce à cette chaîne, j’ai ainsi découvert l’excellent Tin There d’Underworld, qui était alors le titre phare de Wipeout 2097 sur Playstation 1, et me suis de fil en aiguillé orienté vers la musique électronique, alors que je n’écoutais encore que du rock’n’roll à la papa.
C: avait aussi un site internet, www.cpp.fr, qui n’existe plus aujourd’hui. Il symbolisait l’effort de développement des réseaux informatiques en France à la fin des années 90, comme je l’ai déjà évoqué dans un autre article. Mais là où la chaîne C: faisait très très fort, c’est qu’elle était associée à un second canal, nommé Cdirect, qui n’offrait qu’un écran noir, mais permettait, selon la plage horaire choisie, de télécharger des logiciels à très haut débit via satellite, en reliant le décodeur Canalsatellite au PC. Il fallait compter un abonnement mensuel de 50 francs par mois pour accéder au service, en sus de l’abonnement Canalsatellite, ce qui était cher, pour l’époque, sans compter que certains logiciels nécessitaient de payer un extra.
Du reste, quatre-vingt pourcent de la programmation de la chaîne C: représentait des clips de tests à orientation publicitaire pour ces logiciels, dont certains étaient des jeux. Ca tournait en boucle, c’était parfois chiant, parfois drôle, parfois rythmé par de la musique très underground, mais c’était un premier pas dans la “télévisualisation” de l’informatique et des jeux vidéo.
C’est loin tout ça, mais c’était vraiment à part et j’adorais cette ambiance, qui faisait écho à mes passions de l’époque. Quelle que soit l’heure de diffusion, j’avais toujours l’impression d’être le seul au monde à regarder cette chaine. Plus geek que ça, tu meurs…
Mais il ne faudrait pas oublier que C: proposait de véritables programmes, et pas des moindres ! J’ai ainsi découvert Les Chroniques de la guerre de Lodoss, qui au début m’attiraient par ce petit côté Tolkien débridé (j’étais dans ma période fantasy), et qui ont vite fait de me blaser, puisque ce manga faisait clairement la transition entre les animes de grande qualité de mon enfance (Saint Seiya, Dragon Ball…) et le manga animé actuel, basé majoritairement sur des dialogues très longs et des travellings statiques. Du reste, j’ai longtemps considéré Lodoss comme la quintessence de cette tendance japonaise à l’économie.
Mais je me suis réconcilié avec le manga télévisé grâce à Neon Genesis Evangelion, cet anime devenu culte, et il y a de quoi. Cette œuvre étrange, à mi-chemin entre Nietzsche et Goldorak, allait parfaitement de pair avec l’ambiance de la chaîne C:. Et puis c’était de la VOSTF, s’il vous plait !
De même, C: nous servait de la VOSTF pour une série humoristique typiquement Britannique, à savoir The Red Dwarf, que seule une petite poignée de connaisseurs peuvent se vanter de connaître en France. Je ne m’étais pas autant éclaté depuis The Monty Pythons’ Flying Circus… Car The Red Dwarf, c’est ni plus ni moins un Objectif Nul à l’anglaise, mais en beaucoup plus évolué : un équipage perdu dans l’espace à bord d’un vaisseau, et en avant les aventures débiles. Le générique de la première saison avait même quelque chose d’inquiétant :
https://www.youtube.com/watch?v=00powkXPhDg
Ci-dessous, le début de mon épisode préféré de Red Dwarf, avec l’introduction de Ace Rimmer, une parodie vivante d’Indiana Jones. De quoi bien rigoler, même si vous ne parlez pas un mot d’anglais :
C: proposait aussi de drôles d’émissions, telle que “Branché” une émission québécoise sur le cyber, qui mettait en scène un trio de journalistes spécialisés allant faire des reportages sur la culture numérique au Canada. Leur accent était déjà dépaysant et drôle en soi. Mais je me souviens d’un reportage sur “l’internethon” : cet nouveau sport consistait… à rester éveillé le plus longtemps possible en surfant sur internet. L’événement était organisé chaque année dans les cybercafés de Montréal, et on voyait des mecs s’endormir au fur et à mesure sur leurs claviers… jusqu’à ce qu’un vainqueur, ivre de fatigue, soit désigné. Qu’est-ce que j’avais pu rigoler avec ça ! Mais impossible de retrouver la moindre trace de cette émission.
Enfin, la chaîne C: proposait beaucoup de petits intermèdes curieux, sous forme de courts métrages, un peu comme les “surprises” de Canal plus. C: a ainsi diffusé au goutte à goutte et sur des plages horaires improbables les fameux Document Interdits de Jean-Teddy Filipppe, faux documentaires amateurs flirtant avec le paranormal, et faisant sacrément flipper !
C : a finalement été remodelé : elle est devenue Game One le 6 septembre 1998. Le canal Cdirect a été conservé un temps, puis supprimé. Game One , initialement composée de la même équipe que C:, nous a amené de beaux moments : j’y ai découvert, entre autres, Ocarina of Time… Game One n’a peut être pas atteint son objectif initial de devenir la première chaîne européenne du jeu vidéo, mais a su s’adapter au paysage audiovisuel et existe toujours, forte de son succès.
Le public a changé. J’ai éteint ma télé en 1999, un peu après avoir joué à Ocarina of Time. Je n’y trouvais plus aucun intérêt. Je ne l’ai rallumée qu’en 2011, pour mes enfants. Je ne la regarde plus désormais qu’avec eux, par dessus leur épaule, pour voir si leurs programmes ne sont pas trop débiles (je ne suis généralement pas déçu du voyage). Mais existe-t-il encore des chaînes expérimentales telles que le fut C: ? L’audiovisuel n’est-il pas devenu trop aseptisé ou fermé pour cela ? La question reste ouverte aux connaisseurs.