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[#14v.2] La contrefaçon numérique : l’art de copier pour se développer

Temps de lecture : 8 minutes


Suite de notre article consacré à la contrefaçon numérique. Fléau pour certains, occasion inespérée pour d’autres, la contrefaçon est loin de laisser indifférent. Dans notre précédent post, après avoir vu le pourquoi/ du comment de la contrefaçon en Occident et le combat des grosses firmes autour de la question pour une histoire de brouzouf bien-sûr, que représente pour nombre de « pays sources », la contrefaçon numérique (hors hardware pour se focaliser sur le software) ? Qu’apporte à ces pays la contrefaçon numérique à grande échelle – c’est-à-dire quasi industrielle – que cela soit en Asie ou en Afrique ?

Désolé, ‘ pas pu m’empêcher du cliché 😉

C’est bien connu, outre de consommer des canidés, la Chine truste le palmarès des pays ayant porté la contrefaçon à son pinacle aux yeux des firmes et nombres de gouvernements occidentaux. Si ces pays la considèrent à juste titre comme le pays reine de la contrefaçon, il est cocasse de voir qu’ils oublient bien souvent de s’offusquer que le commerce mondial dépend désormais en grande partie de la production asiatique (75 % des consoles sont fabriquées en Asie, dont pour la Chine 20 % des produits électroniques…), pays qui est dénoncé comme le Grand Satan de la contrefaçon… . Ainsi, les Gabelous douaniers français indiquent que plus de 80% de la contrefaçon mondiale pour 2017 est issue d’Asie, chiffre dominé par le dragon chinois.

les gouvernements asiat’ se crèvent les yeux devant un si lucratif commerce

Cependant, si dans notre premier post on se focalisait sur l’impact du phénomène d’un point vue éco/ mais aussi d’ouverture culturelle pour les pays cibles de la contrefaçon (en gros les pays riches, avides de consommations à outrance), nous nous focaliserons ici sur son impact au niveau local. Tout d’abord, en Asie et en Afrique, la contrefaçon à pignon sur rue, car les gouvernements malgré les effets d’annonce ou coup médiatique pour satisfaire telle multinationale (comme Cro$oft) ou tel gouvernement (US pour ne pas les nommer), ferment – voire on peut le dire – se crèvent littéralement les yeux devant un si lucratif commerce. Quiconque a vécu en Asie ou de manière plus temporaire a arpenté les mégapoles asiatiques de l’Asie orientale/ Asie du Sud-Est (Shanghai, Bangkok, Hanoi, Saigon, Phnom Penh…), lors d’une journée shopping n’a pu être émerveillé/ scandalisé ou faire un AVC devant cette débauche de produits contrefaits à profusion, du sac aux logiciels en passant par le dernier téléphone, qui sont tout autant de cruelles tentations pour nombre de touristes ou d’expat’!

Au Viêt-Nam, des petits magasins où l’on trouve de tout !

Dans le cadre des contrefaçons numériques, il faut alors découvrir dans nombres de boutiques ces énormes catalogues qui référent les jeux (ou des films) classés par numéro, du plus ancien jeu xbox/ PS1 au plus récent PS3/ X360. Entassés sur les comptoirs de ces petites échoppes, le client a le choix devant ces véritables bibles de la contrefaçon numérique, car bien sûr rien n’est officiel, point de jaquettes/ boitiers ou encore de notices estampillées Sony ou Microsoft. Ici, le client se trouve face à une orgie vidéoludique vendue à des prix dérisoires : de pauvres jaquettes photocopiées – non exemptes de fautes mémorables et souvent fantaisistes – encadrent un boitier où siège un DVD annoté au stylo, voire pour les éditions « plus luxueuses », parfois pressé avec une reprographie comme un original.

Super Doctor (House)

Ce commerce a bien sûr pris une ampleur inégalée par la possibilité de trouver le logiciel source piraté par le biais d’Internet, bien que la diffusion de cartouche pirate existait également avec les consoles rétro : qui ne se souvient pas des fameuses cartouches Game Boy/ Snes « 99 Games in 1 » venant d’Espagne ou déjà d’Asie dans les années 90 ? Où encore, bien moins connu les différentes machines comme le  « Super Doctor » permettant de dupliquer les jeux sur disquette 3,5′ (puis plus tard sur CD), d’une foultitude de consoles : SNES, Megadrive, Neo-Geo (tu m’étonnes vu le prix des jeux à l’époque …), etc.

De nombreuses échoppes sont consacrées à la vente de contrefaçons numériques

Outre le prix rédhibitoire de ce genre de machine (presque 900 € de nos jours), la diffusion de ces jeux était plus rare car il fallait fournir un support beaucoup plus difficile à réaliser (circuit imprimé, cartouche, …) que celui de recopier puis de graver de nos jours une ISO téléchargée sur Internet via des sites spécialisés (ou tout simplement par P2P/ torrent). Cette facilité a explosé grâce à l’essor de connexions plus rapides (ADSL principalement) qui se sont démocratisées dans les pays occidentaux puis rapidement dans les pays asiatiques, mais aussi africains. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que la plupart des pays exportateurs de contrefaçons numériques, mais surtout consommateurs de ce même produit – ce qu’omettent bien souvent les études sur la contrefaçon – sont localisés sur ces deux continents.

Si dans les gros centres commerciaux, les jeux copiés se font rares en raison de la pression d’instances internationales sur les gouvernements locaux (comme l’OMC en Asie d’ailleurs), il n’est pas compliqué en se baladant dans les ruelles adjacentes hors des grands pôles commerciaux d’en trouver. De nombreuses échoppes sont consacrées à la vente de contrefaçons numériques, toutes regroupées dans les mêmes rues, selon une organisation urbaine héritée du Moyen-âge, loin d’être une spécificité asiatique (qui n’a pas une rue « des bouchers » dans sa ville ?).

Un « Mall » au Viêt Nam, en Thaïlande, à Phnom Penh … où la contrefaçon est peu présente (car plus contrôlée)

 

… aux échoppes similaires quelques part en Thaïlande, où la contrefaçon numérique est reine.

  Le rôle de la contrefaçon pour les pays producteurs

Ainsi, si le touriste lambda peut avoir accès à ces produits, notamment par des petits points de vente dans les lieux qu’il fréquente (mais limités en terme de produits), la plus grosse partie de la contrefaçon numérique est avant tout destinée à la population locale. En effet, il est rare de voir les touristes de passage s’aventurer dans ces ruelles parfois éloignées, que seuls les initiés ou locaux connaissent. Et nous arrivons ici au cœur de cet article, le rôle de la contrefaçon pour les pays producteurs. En effet, ces nombreux magasins, échoppes prouvent que ce marché de la contrefaçon s’adresse à un public local et nombreux. Il semble évident que le prix « officiel » pratiqué dans les pays développés ne peut se pratiquer dans les rues de Saigon, Shanghai ou de Bangkok : une licence d’Adode Photoshop à plus de 1000 euros ou le dernier GTA V vendu à 70 euros ont peu de chance de trouver un potentiel acheteur, dans des pays où le salaire moyen est de 100-150 euros mensuels. Le coût des produits numériques est donc un premier frein pour leur développement dans des sentiers légaux, bien que les éditeurs aient compris tardivement l’importance de ces marchés émergents, pour ne pas citer que ceux d’Asie. Je me souviens de plusieurs conférences tenues par Microsoft au Viêt Nam, puis en Chine sur leurs logiciels, qui face à la concurrence des marchés parallèles, tentait de pousser ses billes pour encourager l’utilisation de logiciels officiels, « sains » (sans malware) notamment auprès d’entreprises locales. Si l’aspect sécuritaire est un argument de bon aloi, reste toujours le prix. Et, ces grosses firmes ont compris que si dans les pays occidentaux il est aisé de pousser à la protection du droit d’auteur, cela est plus difficile dans les pays en développement, même émergents. Bien qu’une réglementation existe, celle-ci est timidement appliquée – hors coup d’éclat similaire à celui de nos gabelous français, avec force de photos et démonstrations devant une presse aux ordres.

Remarquez, cela permet de conserver des emplois aussi chez …les chauffeurs de rouleau du BTP.

La vérité est ailleurs Scully ….

Et l’on peut dire que les grosses firmes qui hurlent à la mort face aux contrefaçons numériques tiennent un double discours dans les pays émergents : en effet, si le piratage est un souci en terme de rentabilité immédiate, il laisse plutôt songeur sur le long terme. Dans un premier temps, la contrefaçon numérique permet à des générations entières de s’ouvrir culturellement et de se familiariser avec des logiciels, des savoir-faire techniques qui ne peuvent que permettre à leurs nations de s’intégrer davantage à la mondialisation. Ainsi, le pays se formant sur le tard attire davantage des investissements étrangers (les fameux IDE), s’intègre dans les rouages mondiaux et se développe irrémédiablement. D’un autre côté, en utilisant des logiciels massivement copiés, on assiste à l’émergence de monopole de certaines entreprises occidentales sur le hardware local. Et si le piratage effraie ces entreprises officiellement, c’est aussi un pari sur l’avenir officieusement : le pays qui recourt à ces logiciels illégaux sont de futurs marchés qu’il convient de séduire en laissant se diffuser, mêmes copiés, ces logiciels. Ainsi s’installe progressivement un monopole autour de certaines licences (on peut penser aux logiciels copiés d’exploitation dominés par Micro$oft ou dans la presse, l’utilisation massive de Photoshop) qu’il sera plus facile à canaliser ultérieurement. En effet, ces firmes pourront obliger les gouvernants locaux à respecter les normes canoniques du droit d’auteur le jour où leurs pays atteindront le statut de pays développé et devront se plier au respect de règles internationales. Hier, si on pouvait penser à Séoul, Singapour, demain, la Chine, le Viêt Nam seront concernés à leur tour. La boucle sera… bouclée.


LIENS de certaines sources ayant aidé pour cette article … (MAJ 19/04/2020)

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