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Gen d’Hiroshima, en japonais Hadashi no Gen (soit « Gen aux pieds-nus) est une œuvre très singulière, à ne pas lire si vous êtes déjà déprimé par tout ce qui arrive en ce moment… ! Dix tomes de puissante émotion et un véritable témoignage historique sur la guerre et les années d’après-guerre au Japon, de 1945 à 1953.
Gen d’Hiroshima est en effet bien singulier. D’une, il s’agit du tout premier manga édité en France, dans les années 80, par Les Humanoïdes Associés – vous savez, cette bande de dessinateurs d’avant-garde, tels que Möbius ou Druillet, toujours à l’affut des genres novateurs, puissants et dénonciateurs mais également messagers de paix et d’humanisme.
Car Gen d’Hiroshima, c’est tout celà à la fois. On dirait un manga Shonen avant l’heure, dans lequel le héros, le jeune Gen, issu d’une famille nombreuse durement touchée par la catastrophe, se débat pour survivre et vit les pires situations. On se demande sans cesse : mais quand est-ce que tout ça va s’arrêter ? Or, Gen est un véritable modèle d’humanité malgré ses défauts et reste toujours positif. Pacifiste en dépit de son côté bagarreur, il porte en lui des valeurs fortes, dont l’une se résumé à l’image récurrent du blé, qui est en fait l’héritage spirituel que lui a laissé son père avant de périr dans les flammes : « Soyez comme ce blé, fort, même si vous vous faites piétiner. »
Gen d’Hiroshima est également singulier de par sa composante autobiographique. En effet, son auteur, Keiji Nakazawa, a vécu la tragédie d’Hiroshima, où il a perdu son père, sa sœur ainée et son petit frère alors qu’il n’avait que six ans. Ce manga est donc un témoignage tardif mais poignant de ce que le peuple japonais a vécu. Il relate les rapports avec l’armée américaine d’occupation, les tensions avec la Corée, la montée en puissance des yakuzas et des profiteurs de guerre, mais surtout, le quotidien des malades, des blessés, et des petites gens. C’est un manga qui rappelle qu’on doit la paix à toutes ces victimes. Pas étonnant qu’Art Spiegelmann, l’auteur de Maüs, ait écrit la préface de l’édition américaine.
Gen d’Hiroshima a initialement été publié au Japon dans les années 70, et fut donc contemporain de Tezuka ou de Mizuki (je reparelrai de ce dernier). Il écope donc d’un style graphique voisin de ses contemporains, mais nettement tranché. Dans les années 80, c’est une des raisons pour lesquelles la version française n’a pas marché et a déplu au public (elle a heureusement été rééditée depuis) mais celà ne choque plus tellement aujourd’hui étant donné que le style « manga » s’est démocratisé chez nous. J’ai personnellement trouvé que le découpage de Gen d’Hiroshima est très dynamique et son style graphique brut m’a beaucoup plu.
Au Japon, on se sert encore du premier tome de Gen d’Hiroshima à l’école : pendant la catastrophe de Fukushima, il a même été remis à l’honneur). Ce premier tome relate les mésaventures du père de Gen, qui est dénigré à cause de ses idées pacifistes alors que la guerre fait rage. Le tome se clôture par l’explosion de la bombe Atomique le 6 août 1945. Les tomes suivants sont décidément trop « chauds » : les japonais ne sont pas vus sous leur meilleur jour, et ces volumes sont donc passés sous silence dans le système scolaire japonais. Ceci est révélateur de ce qui est justement dénoncé dans le manga, sur la manipulation de l’opinion : avant et pendant la guerre, les instituteurs exaltaient le combat et fanatisaient les jeunes et puis, après la guerre, tous les instituteurs étaient subitement devenus des pacifistes devant l’éternel, récupérant et instrumentalisant l’état d’esprit qui avait originalement valu l’opprobre au père de Gen et à toute sa famille.
Autant vous l’avouer, Gen d’Hiroshima m’a bouleversé. C’est un véritable chef d’œuvre qui fait vivre des émotions fortes et tient en haleine jusqu’au bout, même si le climax émotionnel est décidément atteint au tome 4. Je pense qu’une fois dedans, soit on est immédiatement révulsé par le style, soit on accroche pour de bon. J’ai terminé les dix tomes très rapidement, mais je vous préviens : ça a de quoi briser le cœur. J’ai longtemps hésité à en faire un article ici à cause de celà. Mais quelque part, ce sont des émotions précieuses, que l’on ne vit pas tous les jours, et le personnage de Gen, drôle et attachant, demeurera toujours une lumière dans les ténèbres.
Au milieu des tracas du quotidien, Gen d’Hiroshima vous fera voir vos enfants et vos familles d’un regard nouveau, vous prendrez d’autant plus conscience de votre chance d’être des papa-gamers et ce même si vous êtes frustrés de ne pas pouvoir jouer tout votre saoul entre deux couches. Juste vivants et ensemble, et non survivants et en proie à la peur. Je ne dis pas ça pour vous faire relativiser, car j’ai horreur de ce mot – combien souffrent actuellement de leurs petits problèmes en essayant de les relativiser (comprendre : de d’auto-censurer) sous le matraquage médiatique lié au terrorisme… ? Gen d’Hiroshima montre pourtant bien ce que fait la guerre quand elle devient religion d’Etat. Peut être que la réponse est dans ce manga, mais c’est à vous d’en juger.