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Comme vous le savez chers lecteurs, ici à octopaddle.fr on parle de notre passion commune, toujours sous l’angle de cette curieuse alchimie de gamer/ papa, d’époux/ salariés, jonglant entre les biberons et les paddles, et tout cela en 24h, 7 jours/ 7. Ces multiples casquettes s’intervertissent, se mélangent et, complexité de nos identités multiples, cohabitent tant bien que mal, et parfois ressortent de manière explosives. Attendant depuis le 7 novembre 2014 avec fébrilité la sortie DVD d’Interstellar, dernier film du grand (oui, j’assume) Christopher Nolan – surtout depuis qu’il m’a réconcilié avec la franchise Batman – j’ai été ému comme jamais (du moins depuis … American Beauty ou Virgin Suicide ? ) par un film qui bien plus que de la science-fiction, a fracassé la fibre nostalgique et paternelle de mon for intérieur ! Attention, instant émotion dans cet article, et s’adressant uniquement à ceux l’ayant vu (quelques spoils sont à prévoir dans l’article, vous êtes prévenus).
Au bon goût du maïs du Kentucky
Commençons par le pitch du film : paumé dans les grandes plaines américaines, au bon goût du maïs du Kentucky, balayées par de violentes et titanesques tempêtes de sable d’un monde où le réchauffement climatique a fait ses effets, Cooper (joué avec justesse par Matthew McConaughey) élève avec l’aide de son vieux père ses deux gamins, Murphy une jeune surdouée de 10 ans, passionnée par la science – à l’image de son paternel ex-astronaute déchu de la NASA – et un fils destiné (ou plutôt bloqué par un système scolaire déterminatif) à reprendre l’exploitation familiale qui fait vivoter cette WASP family ‘ricaine. Le cadre, les vastes plaines du Middle West américain captivent et posent le scénario sans se presser, et c’est tant mieux ! L’immersion du film est à ce coût (2h49 quand même), et progressivement le fantastique s’invite : sa fille prétexte voir un fantôme dans sa chambre, les livres de sa bibliothèque tombent sans raison et des messages sibyllins conduisent Cooper sur le site d’une base secrète de la NASA. L’agence spatiale américaine, bien loin de son lustre passée, est désormais recluse en raison d’un désintérêt de la population pour l’exploration spatiale, qui d’ailleurs doute même de l’exploration lunaire, présentée dans le film comme un outil de propagande du gouvernement durant la guerre froide, truculente idée. Ce père est alors choisi en raison de ces états de services passés, pour participer à un projet top secret d’exploration spatiale grâce à la découverte d’une invention extraterrestre (?) pouvant faciliter la colonisation d’une nouvelle planète, d’autant plus urgent que la planète bleue est entrain de mourir.
Celui qui a des enfants et… les autres.
On retrouve ici ce qui faisait le sel et le piquant de la SF des années 80 : du gros vaisseau, le réalisme à la 2001 de Kubrick (aucun son dans l’espace faute d’air propageant le son, loin des lasers assourdissants d’un Star Wars) et un environnement mystérieux à base de trou noir spatio-temporel et d’une entité extraterrestre bienveillante. L’aspect du film est au plus juste : pas de pornographie visuelle à la Michael Bay, des faces de fermiers burinés par le soleil des plaines, des vaisseaux et des équipements proche de ceux des missions Apollo, mais des robots intelligents ambidextres mêlant habilement du rétro et du dernier cri, sans trop en faire. On entre facilement dans le film par ces paysages, ces personnages attachants et ce pitch scénaristique, mais là diverge le type de spectateurs : celui qui a des enfants (et en l’occurrence une fille) et… les autres.
Hujyo ne me contredira pas : échangeant avec l’un de ses collègues sans enfant, ce dernier trouva le film bien, mais pas top, et ne put ressentir la même émotion que seul un parent, et de surcroît ici un père peut éprouver. Personnellement, j’ai eu la même réflexion en me disant que quelques années en arrière, je n’aurais pas eu ce tsunami émotionnel en fin de film.

« Votre fils est prometteur, il sera … agriculteur, on n’a plus besoin d’ingénieurs de nos jours »
Le lien entre le père et sa fille est quasi fusionnel dans le film : elle idéalise son père, tel un rocher ce dernier affronte les éléments hostiles de son environnement (tempête apocalyptique de sable, rencontre parents/ professeurs infantilisant), véritable puits de science, il possède ce grain de folie de ceux qui ont les yeux dans les étoiles et l’esprit libre qui vagabonde. Ce père courage doit gérer sa petite famille en l’absence d’une mère disparue trop tôt pour cause de maladie (ha l’échange à l’école entre une jeune prof pédante qui lui affirme que l’exploration spatiale et tous les engins fabriqués n’ont servi à rien, à part être un gouffre financier. Cooper, impassible lui rétorque alors : « parmi les engins fabriqués sans intérêts, il y avait l’IRM … si on en avait encore un, les médecins auraient pu trouver le kyste au cerveau qui a tué ma femme… » un ange passe). Décalé par rapport au monde où il vit, se sentant à part aux yeux des autres, et surtout les conchiant joyeusement, ce père croit davantage dans son expérience personnelle, ses connaissances et le ressenti de ses gosses pour les éduquer sans s’en remettre à une institution aseptisée, stérile et finalement, véritable cocon de reproduction sociale asservissante.
… mélancolique à souhait
Murphy, sa jeune fille qui regarde ce père avec émerveillement et, comme toute petite fille dans l’idéalisation du modèle paternel, ce qui en tant que père, est un bonheur, mais aussi un lourd fardeau : comment ne pas la décevoir ? Comment ne pas briser ses rêves tout en la conduisant sur les chemins de la vie pour sa propre émancipation ? L’un des passages les plus éprouvants est celui de la séparation physique et symbolique quand le père explique à sa fille les raisons de son départ pour cette mission capitale pour l’humanité, et le risque de non-retour ou plus cauchemardesque, celui de revenir – par le biais du voyage spatial – en ayant le même âge que sa fille, qui elle aura connu les affres du temps. La scène – et pourtant je ne suis pas fleur bleue – est déchirante : l’émotion est portée par les deux acteurs très justes, appuyée par la BO d’Hans Zimmer (Gladiator…) mélancolique à souhait. Bien sûr, sa fille qui s’enferme dans un mutisme désespéré voit son père partir, brisé par le chagrin et les remords, et ne peut le serrer dans ses bras, faute d’un départ précipité.
Sur le moment, je me suis dit, « il est obligé de sacrifier sa famille pour une quête plus grande, plus importante : la survie de l’humanité ». Certes cela est grandiloquent, mais cela est d’autant plus cruel quand il se trouve confronté à sa famille par le biais d’échanges vidéos entre la terre et la mission spatiale : Cooper y voit grandir son fils – sa fille refuse de lui parler – qui à son tour devient père et se marie. Dans le cosmos, la situation est également loin d’être idyllique, la mission se déroule mal, notamment par l’exploration en vain d’une planète qui accélère le temps. Ainsi, Cooper ne vieillit plus à la différence de ses enfants restés sur terre, et prend alors conscience de cet écart abyssal irrémédiable, qu’il ne pourra jamais rattraper. N’ayant plus des nouvelles de son paternel (qui ne peut lui répondre en raison de la distance), son fils décide de le considérer comme mort, afin de pouvoir faire son deuil. Sa fille, qui après 20 ans de refus de communiquer avec lui, décide aussi de lui envoyer un dernier et unique message. Dans ce dernier, elle lui exprime toute sa rancœur et lui rappelle sa cruelle promesse de retour non réalisée. Désespérée, elle veut faire aussi son deuil malgré l’absence d’un corps, d’une affirmation … bref, passer à l’autre chapitre de sa vie, celui de succéder à ses parents, de devenir pleinement adulte.
Et là en tant que père, prends sa dans ta gueule : que faire en cas de disparition pour l’avenir de sa progéniture ? Notre rôle de guide ne pouvant être achevé, comment peut-elle se construire ? Tous ces instants que nous partageons avec nos proches, nos familles qui un jour ne seront plus là, laissent un goût amer difficile à accepter, et que je n’accepte toujours pas. Personnellement l’approche de la trentaine, puis l’expérience de la paternité, m’ont amené à me pencher sur cette question du temps qui passe et fout le camps, de l’enfant à l’adolescence, puis à l’émancipation du jeune adulte qui désormais vieillit. Ces difficiles transitions d’une vie sont d’autant plus douloureuses – et la nostalgie du temps passé n’est-elle pas un antidote vain à cela ? – quand l’on s’aperçoit tragiquement que ceux que l’on aime finiront un jour par disparaître. Ce cycle inaugura alors notre propre départ pour cet ultime voyage, laissant sur le bas-côté les regrets de nos enfants, devenus par cette terrible épreuve pleinement adultes, et souvent des parents à leur tour.
La vie est donc cruelle, est nous pose un dilemme : celui de la donner, puis de participer patiemment à la construction de l’individualité de nos enfants, en voulant toujours le meilleur pour eux en débordant d’amour à leurs égards (du moins à mes yeux), afin de leurs permettre de s’émanciper du nid et de s’envoler, libres. Si à la fin du film l’humanité est finalement sauvée par un retournement scénaristique à 360° (si, si), Cooper retrouve sa fille, devenue… grand-mère. Il prend alors conscience que cette dernière vit ses derniers moments avec sa famille, et elle demande alors à son père de se retirer, afin que le cycle de la vie reprenne son cours. Poignant, mais tellement vrai.
Finalement ce film qui se pare des plus beaux atours de la science-fiction, revient aux fondamentaux de notre humanité, de notre condition humaine. Dans cette histoire, on se trouve dans la peau d’un père, désemparé devant le temps qui passe et son incapacité de racheter toutes ces années perdues, même s’il assure à l’humanité un avenir. Un terrible choix philosophique s’impose (que ma femme m’a posé aussi) : faut-il alors assurer son bonheur personnel ainsi que celui de ses proches au travers de sa famille, ou plutôt le sacrifier pour la survie de tous ? … Vous avez 2h49 pour vous faire votre propre avis 😉